Une mission humanitaire comme les autres

Roman écrit par Dr Pierre BAILLY-SALIN

Chapitre IX

Vientiane

Lors de l'arrivée à Vientiane on était d 'emblée dans la couleur locale. Pas de bus ni de systèmes sophistiqués : l'avion, seul sur le devant de l' air port, dégorgeait ses passagers par une étroite échelle de fer et l'on partait gaillardement à pied vers la minuscule aérogare dans une chaleur étouffante - l'adjectif était sur toutes leurs lèvres - qui assaillaient les Parisiens pour la première fois.

Au premier étage du bâtiment en bois de l'aérogare, aérogare convenait mieux qu'air port trop occidental et moderne, sur une terrasse en plein air une foule importante agitait les bras dans un grand état d'excitation. Noëlle se retourna pour voir à qui diable s'adressaient ces saluts endiablésmais chacun marchait en une colonne étirée vers l'aérogare, les uns empêtrés dans leurs colis, les autres tentant, tels des poissons hors de l'eau, de retrouver tout banalement leur souffle dans cette fournaise que pas un souffle d'air n'agitait. Louise sentait la chaleur monter sous sa jupe ; elle ébaucha même le geste de rabattre celle - ci comme si elle devait être gonflée.

Les passagers s'entassèrent dans une pièce sinistre, haute de plafond mais étouffante, aux murs pisseux et au mobilier sommaire, issu en droite ligne de feu l'armée française, variété troupes coloniales 1939. Devant des guérites en bois mal équarri, les passagers se distribuèrent au hasard pour remplir des formulaires apparemment identiques en trois exemplaires sur des papiers d'une extrême pauvreté et l'attente commença. René fit deux erreurs dans la rédaction de sa fiche et, s'en étant ouvert à Noëlle, il fut sèchement rembarré :

" Vous n'avez pas intérêt à faire des bêtises ici ; vous voyez où nous sommes et l'atmosphère de l'accueil !"


Les policiers aux mines fatiguées, ressemblant étrangement à l'employé de Lao aviation, les uniformes minables, usés et sales, compulsaient lentement et avec la plus évidente suspicion les documents qui leur étaient présentés. Louise était fascinée par les pieds nus dans des tongues misérables qui dépassaient de la guérite : il y a des médecins aux pieds nus ici il y a des flics aux pieds nus, pensa - t elle ! Ils finissaient cependant par apposer avec un soin méticuleux des tampons en plusieurs endroits du passeport et d'un geste las à indiquer aux impétrants l'accès de la pièce suivante.

Des douaniers, tout à fait semblables aux policiers, fouillaient avec une apparente méticulosité les sacs et sacoches des arrivants. En fait Michel nota leurs regards vides et leurs gestes automatiques : ils faisaient semblant. N'empêche, dès les dix premières minutes, on était et l'on se sentait dans un autre monde, aux valeurs différentes et l'on en éprouvait physiquement le poids étouffant.

La suite des formalités était au contraire d'une remarquable facilité ; les bagages étaient jetés en tas avec la délicatesse qui caractérise tous les air ports du monde - à croire qu'ils s'étaient donné le mot - et un dernier douanier y traçait négligemment un signe cabalistique avec un morceau de craie minuscule et le tour était joué.

Les quatre membres de SOS - monde se retrouvèrent dans un vaste hall agité de milles courants et éprouvèrent l'nécessité de se serrer autour de leurs bagages. Des êtres petits, bronzés, chétifs (Noëlle), s'activaient autour d'eux en un relatif silence et une totale indifférence.

Les femmes, modèles réduits mais gentilles (René), portaient des sortes de jupes porte - feuilles aux coloris chatoyants avec une pièce brodée au bas de celle - ci (Noëlle). C'est très seyant sans être uniforme, ( Louise). Ça doit être la marque d'un clan (Michel).

Ils eurent ensemble la même impression curieuse : ils dominaient la foule de la tête et des épaules et, pour Louise particulièrement, c'était une sensation très nouvelle !.

En attendant ils étaient au centre du hall d'accueilet personne ne faisait mine de s'occuper d'eux ; peu à peu la foule s'éclaircissait et ils demeuraient perplexes sur la marche à suivre

Michel parti aux nouvelles fut averti que les cantines qui constituaient le gros de leurs impedimenta arriveraient plus tard par un autre vol et, au nom de Gauthier, son interlocuteur s'était fendu d'un large sourire qui découvrait une édentation complète : " no problem " avait - il conclu en s'inclinant légèrement devant son interlocuteur.

René avait, lui, été faire un tour dehors sur le parking ; c'était courageux de sa part car, même non climatisé, l'air port était un havre de relative fraîcheur comparé à la fournaise extérieure ; il avait été saisi par le nombre des véhicules d'organisations internationales dont les sigles s'étalaient sur fond bleu ciel aux portes de volumineux quatre - quatre dont la robustesse semblait la vertu essentielle. Cela en disait long sur l'état probable des routes, pensa René. Ces véhicules officiels leurs passagers et leurs bagages récupérés partaient les uns après les autres ne laissant que de rares voitures " civiles - épaves plus que véhicules et leur état inspirait plus la pitié que la confiance.

Un conducteur laotien, contacté par le langage des signes, s'était mis à sa disposition, lui et sa voiture, et l'avait suivi, enthousiaste, dans le hall. Devant les quatre personnes et leurs volumineux bagages, le malheureux avait décliné son offre puis avait disparu pour revenir peu après avec un autre laotien qui, toujours par gestes, les invitait à les suivre.

Il disposait lui d'une sorte de camionnette sans âge dans un état de délabrement avancé. Il avait habilement entassé avec l'aide de René et celle, plus lointaine, de Michel les valises, puis les sacs et avait galamment fait monter à coté de lui les deux femmes non sans avoir épousseté rapidement la poussière accumulée sur la banquette avant. Les hommes s'étaient tassés vaille que vaille au milieu des colis et bagages.

Tout le mode casé, le conducteur posa en termes simples mais explicites la question princeps :

" Où aller ? "

Où aller ? ! À l'hôtel ! Hôtel ! : le Laotien fit un geste d'impuissanced'où il ressortait qu'il y en avait probablement plusieurs et qu'un choix s'imposait. Après un instant d'hésitation, il remua la tête, fit un large sourire et la guimbarde démarra aussitôt en un puissant nuage mixte, de fumée d'essence et de poussière.

René était ravi de trôner sur la montagne de leurs biens et leur équipage lui plaisait beaucoup : un vrai roi ! : il voyait tout de loin et tout le surprenait. Il tenta de mettre de l'ordre dans ses impressions. Il n'y a pas de circulation, mais il est midi ; c'est assez propre, la rue était asphaltée ou l'avait été : elle en avait des restes ; les boutiques sont comme des garages fermés par une grille et donnant directement sur la rue ; il y a des palmiers ; les jupes des femmes sont originales et belles. Ils croisèrent deux cyclistes charmantes : l'une pédalait nonchalamment et l'autre, gracieusement assise sur le porte - bagage, protégeait du soleil son moteur avec une fine ombrelle. Oh ! un temple ! Quels toits, dorés et tarabiscotés !

Ils arrivèrent devant une maison en ciment plus grande que les autres et, oh merveille, une enseigne poussiéreuse indiquait incontestablement " Hôtel ". Tous quittèrent leur carrosse (René) et entrèrent dans le hall. Noëlle repéra de suite le laisser - aller évident de l'établissement et fronça les sourcils : le " desk" (influence anglo - saxonne : Michel) était vide et pas un papier n'était visible.

Un Laotien entre deux âge que le chauffeur avait été quérir s'avança lentement. Il ne semblait pas comprendre ce que demandait Michel, c'est-à-dire s'il y avait de la place ; son sourire figé irritait fortement l'administratif de la Mission.

Les voyageurs furent heureusement surpris lorsque dans un français chantant, asyntaxique mais très compréhensible, il demanda sans faire d'effort superfétatoire

" Combien de chambres ? - combien de jours ? "

Après quoi Michel, en s'enquérant des tarifs, se vit proposer silencieusement une misérable feuille dont la cellophane jaunie rendait aléatoire la lecture. Les prix étaient en dollars et les tarifs d'une rare complexité : ce qui était net c'est que plus on restait, moins on payait, mais toujours d'avance !

Sans consulter ses camarades, Michel retint quatre chambres et ne les interrogea que sur la durée du séjour. Noëlle marqua une nette mauvaise humeur et fit observer qu'aucun n'avait la moindre idée de la durée des démarches qu'ils auraient à effectuer à Vientiane et que la décision de se loger dans cet hôtel aurait dû être une décision collective et que, de toute façon, on aurait pu visiter préalablement les chambres.

L'hôtelier, lui, était indifférent à cet échange et proposa les clefs en indiquant d'un geste de tête l'escalier. Chacun seharnacha de ses impedimenta personnels et se dandinant, suant et soufflant monta à la queue - leu - leu un escalier étroit et surtout raide mais propre (Louise ).

La première chambre visitée était immense avec deux lits avachis. Un épais rideau sombre plongeait la pièce dans une obscurité presque totale. Un interrupteur découvert par René alluma une ampoule misérable dont l'obscure clarté permit cependant de découvrir une salle d'eau imposante avec une immense baignoire et un cumulus de l'occupation française d'avant - guerre, celle de 40 !.

Telle quelle elle aurait bien plu à Louise, mais Noëlle exigea de voir aussi les autres chambres qui leur avaient été attribuées, elles aussi noyées dans une pénombre dense. Il n'y avait pas de différence sensible et le médecin en choisit une après avoir tâté les lits.

Curieuse, Louise tenta de faire glisser le rideau sans y parvenir. Elle en souleva le coté et vit que la fenêtre donnait sur un mur lépreux distant d'à peine un mètre ! René débarqua de sa chambre et fit part de la même découverte.

Michel et Noëlle descendirent pour exiger de nouvelles chambres " avec vue ".


Par chance un occidental présent dans le hall où il attendait sa voiture de fonction les rencarda : leurs chambres étaient parmi les meilleures et les rideaux protégeaient efficacement de la chaleur et cela l'emportait et de loin sur les joies du paysage, inexistant de surcroît !.

Après un rangement sommaire, les quatre " missionnaires ", impatients et oublieux de leur fatigue, se retrouvèrent en bas pour une première visite. Michel demanda un plan de la ville ce qui déclencha une mimique de désarroi et un geste fataliste des bras écartés du corps, geste qui allait leur devenir rapidement familier.

Leur déambulation fut, au début, d'une extrême lenteur : la chaleur en était la cause essentielle et de plus tous les magasins les intéressaient. Nombre d'entreeux étaient quasi vides et les marchandises étaient rares. Des antiquités poussiéreuses s'étalaient chichement dans nombre de vitrines sales.

Suivant une légère pente - plus facile à négocier sous ces climats - ils arrivèrent aux berges du Mékong. Les maisons qui les bordaient devaient avoir eu fière allure... quarante ans auparavant : d'inspiration française leur architecture était intéressante mais leurs balcons étaient en ruine et les murs délabrés.

Ayant grimpé sur la levée de terre qui cachait en partie le fleuve et négligeant le spectacle peu ragoûtant des immondices qui jalonnaient la descente jusqu'à son lit, ils restèrent éblouis par le panorama qui s'offrait à eux : le Mékong roulait ses eaux que la lumière faisait paraître bleu sombre laissant en avant de lui une large plage de sable.

La rive d'en face, la Thaïlande à n'en pas douter, se marquait par une fine ligne verte égaillée par une pagode au toit doré. En aval des légères fumées s'élevaient d'une île cultivée. Une paix, une douceur et une grandeur sereine se dégageaient de ce paysage, en apparence vide de toute présence humaine.

René et Louise dirent ensemble :


" On a bien fait de venir ; ça vaut le coup ! "

Et tous rirent de ce duo impromptu. Mis en appétit par cet épisode, ils partirent joyeux en remontant le fleuve. La route - route ou rue - on pouvait hésiter tournait sur la droite et lui succédait un chemin pierreux qui longeait le fleuve.

Les maisons de type français disparurent au profit de constructions bien plus locales. Le bois remplaçait la pierre et construites sur pilotis les habitations offraient à l'étage de vastes terrasses et les murs n'étaient plus que de minces cloisons en bois tressé, disant bien qu'il n'y avait guère à se défendre du froid.

René admira l'habileté des constructeurs de murs qui, le long de la route et empiétant sur elle, coupaient avec de longues machettes des bambous immenses et les entrecroisaient pour en faire le matériel essentiel de construction des maisons laotiennes.

Dominant le lit du Mékong des guinguettes - le mot était de Michel et recueilli l'assentiment de ses compagnons - étaient construites - si l'on peut dire - leur plancher prenant appui sur les branches des arbres. Deux ou trois tables et quelques chaises et un banc indiquaient le caractère commercial que soulignait une ou deux caisses de coca - cola et d'une bière supposée locale !

Les membres de SOS - Monde choisirent la dernière de ces buvettes, là où le chemin s'arrêtait et s'attablèrent pour découvrir qu'ils avaient une vue magnifique sur le Mékong et que le soleil allait leur offrir un coucher dans l'eau du fleuve comme ils n'en avaient jamais rêvé.

Une jeune laotienne à la jupe typique vint prendre leur commande avec un sourire charmant. Incapable de se faire comprendre, René et Michel se levèrent pour désigner la commande dans les casiers de boisson à droite du comptoir : la langue des signes entrait dans leurs coutumes et n'allait plus guère les quitter...

Peu à peu des occidentaux arrivèrent, les uns à pied, les autres en vélo et occupèrent les quelques tables disponibles : on parlait français, anglais et d'autres langues non identifiées.

" Ils viennent assister au coucher de soleil ! On a eu le nez fin, mais cela prouve qu'il ne doit pas y avoir grandes distractions à Vientiane "

Souligna Michel

" Peut - être mais vous pouvez toujours chercher un tel spectacle à Paris "

Se rebella Noëlle, approuvée par Louise et René. Le spectacle les confortait dans la conviction qu'ils avaient fait le bon choix en se portant volontaires pour le Laos et les aventures hôtelières passaient au second plan.

L'impression de paix qui flottait sur le fleuve et ses rives, l'impression que cette immensité était vide de toute présence humaine, cela les emplissait d'une émotion indéfinissable que le dépaysement brutal lié au voyage aérien augmentait sensiblement. Louise calcula le nombre d'heures qui la séparait du morne dîner parisien avec sa cousine et s'étonna d'être déjà plongée à ce point dans un autre univers.

Le soleil, énorme boule d'un rouge ardent, faisait surgir puis évoluer toutes les nuances du violet au pourpre en passant par les roses - oranges et descendait droit dans le lit du Mékong dont les eaux scintillaient de milles facettes dorées puis violettes.

Le silence s'établit de lui - même à toutes les tables de la guinguette et chacun s'emplissait du spectacle en une étrange communion.

Brutalement le rideau tomba et l'obscurité s'établit en quelques minutes. Ce passage, aussi subit, de la lumière à l'ombre déclencha le pépiement aigu d'oiseaux inconnus et entraîna le départ de la totalité des spectateurs.

Michel eut le temps d'interwieuver un Français sur les possibilités de se restaurer et sur l'existence d'établissements recommandables.

Ce dernier n'hésita pas :

" Il n'y a guère que le Nam Phu; suivez le Mékong jusqu' à un petit wat et c'est à gauche sur une place, en face de l'affreux building de la Radio "

Michel ignorait le sens du mot Wat ; Noëlle ne fut pas mécontente de faire étalage de sa supériorité en signalant c'était le nom des temples bouddhiques,

" Ici dans sa variété Theravada ou du petit véhicule"

Dans une obscurité de plus en plus profonde ils retrouvèrent avec plaisir la route goudronnée où, brutalement une voix nasillarde tomba de hauts parleurs perchés sur les poteaux télégraphiques. La voix cédait parfois la place à une musique sautillante et grinçante ; Les passants ne semblaient en rien surpris et restaient remarquablement indifférents à cette agression sonore qui les accompagna d'amplificateurs en amplificateurs.

Sur la place indiquée, ils ne purent manquer l'immeuble de la radio avec une immense faucille et un marteau au milieu de la façade :

" Ils ne semblent pas savoir que feu le communisme est mort et enterré "

Nota pensivement Michel, avant de repérer les fenêtres éclairées d'un petit restaurant.

La salle était agréable, les tables propres avec leurs nappes de papier ; Ils étaient les seuls - ou les premiers - clients et deux timides laotiennes apportèrent, outre leurs sourires, des cacahuètes et une courte carte bilingue, anglaise et française.

Noëlle insista pour qu'ils fixent leur choix sur des plats connus et c'est le poulet à la citronnelle avec du riz qui fut choisi. Il y eut un certain flou lors de la commande :

" Demi-poulet "


Demanda la servante.

Les deux femmes se récrièrent et René n'osa pas se singulariser malgré sa faim. Il observa bien que la commande d'un poulet pour quatre avait paru surprendre la jeune fille qui avait hoché la tête dubitativement. Une autre question suivit aussitôt :

" Riz normal ou riz gluant "

Plongeant à nouveau les quatre Français dans la perplexité. Michel entreprit de se faire expliquer la ou les différences mais le vocabulaire de la serveuse était trop limité pour comprendre exactement ; ils optèrent pour le riz gluant sur l'affirmation de son origine locale. Pour les mêmes raisons, ils étaient en train de choisir le thé ayant repoussé d'un geste ferme la carte des vins lorsque le mot " bière " fut suggéré timidement par leur hôtesse. Michel et René opinèrent immédiatement, soulagés d'échapper à la tisane.

C'était en fait leur premier repas en commun et la conversation s'anima d'emblée ; ils étaient assez satisfaits de leur première après - midi à Vientiane et contents de s'en être bien tiré. Le Laos leur était apparu bien plus arriéré qu'ils ne le pensaient ; un petit pays rural, hors du siècle : ce fut, heureusement ramassée, l'opinion de Noëlle à laquelle tous souscrirent en attendant le repas.

Leur stupeur fut grande de voir apparaître deux minuscules cuisses de poulet et deux ailes toutes aussi menues. La déception qui se marqua sur le visage de René les fit tous, serveuses comprises, éclater de rire.

" Poulet Laotien... chétifs "

gloussa la plus délurée des serveuses. Michel, d'autorité, rectifia la commande et les portions furent rectifiées en quatre demi - poulets. Le riz gluant dans ses paniers en feuilles de bananes eut un succès mitigé, d'estime et de curiositémais fut jugé trop rustique surtout par les femmes. La sauce eut par contre l'assentiment général et le goût acidulé de la citronnelle fut une surprise agréable.

La note, réglée par Michel en dollars, fut jugée très raisonnable après les difficiles calculs de parité qui les mobilisèrent un bon moment : il fallait passer du Franc vers le Dollar et vice - versa, en passant par le bath thaïlandais, le Kip, la monnaie locale, n'était même pas mentionné, grâce au ciel.



Chapitre X

Au Laos

Au petit-déjeuner, les voyageurs se confièrent leurs impressions. La moitié d'entre eux avait coupé la climatisation dont le bruit équivalait à celui du Boeing de la veille et ils avaient eu diablement chaud. L'autre moitié n'avait pas dormi ou difficilement du fait de ce bruit infernal, mais ils avaient eu un frais agréable.

Ils étaient prêts à aller de l'avant et Michel alla demander l'adresse du Ministère de la Santé au patron de l'Ekalat. Celui - ci l'ignorait et ne manifesta aucune envie de se passionner pour cette question. La notion d'annuaire semblait inconnue à Vientiane ou, autre hypothèse, cet annuaire était bien si précieux qu'il n'était pas question de le prostituer en des mains étrangères.

Louise opta pour la paresse laotienne que signalait son guide : " Le Laotien écoute pousser le riz ". Noëlle coupa court aux récriminations de Michel et imposa l'idée d'aller à l'hôpital où ils sauraient bien apprendre où diable se cachait ce fameux ministère.

La ville n'était guère animée ; des vélos, féminins pour la plupart, chevauchés par des êtres frêles se tenant très droites et pédalant d'un air merveilleusement détaché et nonchalant, passaient lentement d'une façon quasi immatérielle glissant sans bruit ni mouvement. Les boutiques - garages comme les appela René étaient presque toutes fermées et la marche sur les bas - cotés de la route demandait assez d'attention car l'herbe qui marquait le trottoir se révélait camoufler traîtreusement des trous de belle taille.

Une animation certaine marquait l'entrée de l' 'hôpital ; une banderole poussiéreuse qui ne datait pas d'hier indiquait " Hôpital Mahosot " et deux Croix Rouges encadraient l'inscription.

Le portail ne respirait ni l'opulence ni la propreté ; en tirant négligemment sur une ficelle un employé en blouse blanche - signe du caractère médical de l'établissement - faisait se lever par un mécanisme astucieux (René) une tige métallique déglinguée qui tenait lieu de barrière ; les piétons, eux, devaient passer entre les piquets d'une chicane ; le concierge ne répondit pas à la demande de Michel ; il désigna un bâtiment de deux étages à sa gauche et retomba dans sa passive attente.

Le groupe de SOS - Monde entra dans un hall vide et s'orienta facilement, des panneaux en français indiquant les voies à suivre pour " Caisse " " Direction " et " Médecin directeur ". Cette marque de la pérennité de la présence française les enchanta comme un heureux présage. Ils suivirent la dernière indication et une petite femme en blouse blanche d'une propreté plus que douteuse se leva à leur approche, s'inclina en levant les avants bras, les mains jointes devant le front.

" Sabaïdie ! Attendez ! Je vous prie "

S'étant consulté du regard les visiteurs décidèrent d'attendre sans s'enquérir immédiatement de l'adresse du ministère ; la qualité du geste d'accueil méritait cette attention. Sur la table basse traînaient quelques revues au papier de misérable qualité. On y voyait en couverture des photos d'hommes figés en des poses avantageuses. René se saisit de l'une d'entreelles et fut surpris des caractères d'imprimeries : des suites de ronds et de v remplaçaient les lettres latines et s'intriquaient de façon totalement incompréhensible. Il montra le journal à ses collègues en riant et souligna la chance qu'ils avaient eu de tomber sur des inscriptions en français.

Un Laotien distingué, un peu plus grand que ses compatriotes, flottant dans une blouse aussi douteuse que celles déjà entrevues, avança vers eux et se présenta.

Il avait un air fatigué que les voyageurs n'allaient pas tarder à bien connaître et s'enquit du but de leur visite en un français parfait sans accent décelable.

SOS - Monde ne semblait pas lui dire grand-chose et Noëlle expliqua leur mission et dit clairement que leur propos immédiat était d'obtenir l'adresse du ministère de la Santé.

En son français élégant, leur interlocuteur les remercia de venir les aider dans " ce pays sinistré à 100 pour 100 "et, leur ayant donné les indications voulues sur la façon de se rendre au Ministère, il leur posa des questions sur ce qu'ils comptaient faire exactement. Noëlle resta dans de prudentes généralités et le Laotien conclut en soulignant que tout étant à construire, on ne risquait pas d'être inutile !

Il leur parla en termes chaleureux de Montpellier, lieu de ses études, mais resta dans un flou artistique sur ce qui lui était arrivé depuis l'indépendance si ce n'est pour insister sur le dénuement absolu dans lequel était son établissement :

" Le CHU ", souligna - t - il à la limite de l' 'ironie pensa Noëlle, devait travailler avec rien… Ou faire semblant ! !. "

Les quatre membres de l'expédition manifestèrent par gestes navrés combien ils partageaient les soucis du Directeur et celui - ci en profita pour demander s'ils avaient des antibiotiques et lesquels. Michel regarda ferment Noëlle qui se lança dans un propos embrouillé pour expliquer qu'ils devaient suivre les indications de Paris et se cantonner à la mission qui leur avait été confiée de la mise en route d'un centre médical rural.

Le collègue inclina la tête avec un pauvre sourire et. leur proposa de visiter un service du " CHU " " pour se rendre compte… Ils se levèrent avec entrain pour le suivre dans un bâtiment sinistre, sale, suant la pauvreté. L'aspect des salles de consultation, leur dénuement évident, la misère des grabats où de frêles silhouettes se recroquevillaient… Toutes ces découvertes sinistres consternaient les Français et leur bel entrain s'évanouit.

Mieux qu'un long discours ce qu'ils avaient sous les yeux éclairait la situation à laquelle ils allaient être confrontés.

René, très bouleversé, crut devoir ajouter que leurs réserves n'étaient pas encore arrivées pour atténuer ce qu'avait eu de brutal l'esquive de Noëlle concernant les antibiotiques et ils se séparèrent avec la promesse de revenir avant leur départ pour le lieu de leur propre affectation.

Louise nota sans rien dire le sourire plus narquois que résigné qui s'ébaucha sur les lèvres minces de " Monsieur le Directeur ".

" Eh bien on n'est pas sorti de l'auberge ; si le CHU est dans cet état qu'est ce que ça doit être dans le bled où nous sommes attendus. J'avoue que je ne m'attendais pas à une telle misère "

Dit Noëlle pensive

Sortis de l'hôpital, ils regardèrent avec intérêt les longs chariots où des petites femmes maigres s'activaient autour de marmites posées sur quelques braises ; tous les conseils de prudence dans le choix des aliments prodigués par les guides touristiques leur revinrent mais de toute façon s'ils avaient eu de l'appétit celui - ci aurait disparu devant la saleté de ces étals.

Un peu plus loin un chariot similaire proposait lui des fruits : : des bananes minuscules, des clémentines et d'autres verdures inconnues. René tâta les oranges et s'en fit peser une petite dizaine. La bascule était rudimentaire, le maître d'école primaire de Michel, se rappela ce dernier, la décrivait sous le nom de " fléau romain " ;

Tout fier de son initiative René reçu ses emplettes dans un plastique rose d'une fragilité telle qu'elle semblait en rapport avec la pénurie générale du Laos ; Il sortit un dollar de son porte - feuille et la vendeuse fit un sourire navré et écartant les mains dans un geste d'impuissance:

" Kip ! Kip ? "

" Ici, dans la rue, on paye en currency locale "


Commenta doctement Michel et René et Louise se sentirent vexés par l'utilisation de ce mot savant dont ils devinaient le sens. Comment changer ces précieux dollars ? Louise avait lu dans son petit guide qu'à défaut de banque, institution inconnue au Laos, on pouvait changer au marché.

Ils y furent en peu de temps, déjà habitués à l'absence de circulation automobile. Ils le parcoururent fascinés par le grouillement humain ; il y avait des allées pour les tissus locaux qui intéressèrent beaucoup Noëlle, des allées pour les bijoux d'argent, d'autres pour les bassines en tôle émaillée et il y avait surtout des allées dont les échoppes étaient vides ou presque.

Michel négocia un change de cinq dollars pour 4 000 kips et revint assez fier de lui. René arriva sur ses talons, ses cinq dollars lui avaient rapporté 5 000 kips :

" C'était une boutique d'électricité : ils ont du Legrand et je leur ai promis de revenir chez eux "

Michel ne put s'empêcher de montrer un certain mécontentement et Noëlle eut la cruauté de rire du dépit du financier de SOS Monde.

Malgré la chaleur, ils partirent à pied pour le Ministère de la Santé suivant les indications du confrère de Mahosot. On s'éloignait légèrement du centre et les rues cessaient d'être asphaltées ; ils pouvaient marcher à quatre de front, les rares vélos les doublant en roulant sur le coté.

Le ministère de la santé était un bâtiment en béton sur trois étages - cela suffisait à en faire une construction hors du commun - avec une hauteur sous plafond importante.

" Cela sent la construction administrative française des années trente : on a même exporté nos horreurs administratives "

Fit remarquer Michel.


La pauvreté sale du couloir les frappa moins qu'à l'hôpital, avertis qu'ils étaient depuis leur visite du service de Mahosot ; même dénuement : pas un meuble dans le long couloir. La salle d'accueil était elle aussi très sommairement meublée et René resta debout.

Leur demande d'audience causa d'évidence un grand désarroi. Après un temps assez long, ils furent priés de remplir une demande écrite exposant les motifs de leur visite. Michel se chargea de la rédaction et il fut accusé d'être trop général :

" On vient pour avoir le lieu de notre mission ! point barre !"

trancha Noëlle durant la nouvelle attente qui suivit la remise du papier.

" Ça m'étonnerait que ça soit aussi simple Chère Madame ! n'oubliez pas que nous sommes en pays communiste et la bureaucratie doit être un monument du genre "

Ils furent introduits dans un bureau modeste où deux hommes jeunes se tenaient, le visage aussi inexpressif que possible. Il fallut un certain temps pour que des chaises supplémentaires soient amenées et cassées vaille que vaille ; tout le monde en place Michel exposa la demande du groupe de SOS - Monde : savoir où les autorités Laotiennes avaient choisi de les envoyer.

Ils notèrent tous que SOS - Monde ne semblait pas dire grand chose à leurs interlocuteurs. Noëlle prononça le nom de Marchais et effectivement le regard de celui qui était derrière le bureau s'alluma quelque peu.

Elle prit alors la parole pour expliquer leur mission, l'accord du gouvernement Laotien et leur désir d'être opérationnels rapidement.

" Nous n'avons que six mois à vous consacrer et ne voudrions pas perdre de temps. Je dis cela pour votre propre intérêt !"


Le Laotien s'inclina légèrement et de son propos hésitant il ressortait qu'aucune décision n'avait été prise mais que les membres de la mission seraient avertis le plus tôt possible ; il s'enquit de leur hôtel et Michel en profita pour signaler que leur matériel devait arriver sous peu et que Monsieur Gauthier était leur intermédiaire.

" Monsieur Gauthier est parfait : il s'occupera de tout ; revenez - il consulta un cahier fatigué - après - demain s'il vous plaît ! "

Sur le chemin du retour Michel et Noëlle firent assaut d'agressivité envers les " gens du ministère "

" Ils ne savent rien, ils s'en foutent -, ce sont des minables et si vous m'en croyez on n'est pas sorti de l'auberge "

" De l'Ekalat oui ! : on aurait pu prendre quinze jours "

Dit en riant René et il désigna à leur curiosité les réparateurs de vélo, de chambre à air surtout, qui, assis sur leurs talons (non) siégeaient à chaque carrefour et ne se semblaient pas manquer de pratiques.

La rencontre avec Gauthier l'après midi les conforta dans une juste appréciation du fonctionnement de la démarche laotienne. Cet homme charmant avait pris un aspect laotien, pensa Michel :

" Ici tout prends un temps fou : ils ne savent pas prendre une décision et en même temps il ne faut pas trop les forcer "

Ayant accompagné leur mandataire à la douane, les hommes eurent rapidement un exemple éloquent de la difficulté qui surgissait au plus menu problème et de la façon habile, courtoise et ondoyante avec laquelle Gauthier se comportait avec ses coriaces interlocuteurs ; ces négociations sans fin ni objet se déroulaient avec une apparence de sérieux qui donnait à la scène un caractère quasi surréaliste et très couleur locale.


Ils retrouvèrent, à la fin de l'après - midi, le calme de " la guinguette " et la magie de son point de vue. Ils apprirent à contempler silencieusement le Mékong et à admirer ses incessants changements de couleur. À ce signe, ils sentirent qu'ils commençaient à appartenir à la communauté des expatriés de Vientiane et d'ailleursNoëlle salua diverses têtes entrevues la veille.

Le lendemain était jour de liberté. René et Louise se retrouvèrent à 8 heures devant le modeste petits-déjeuners et, après avoir attendu l'arrivée " des autres ", ils décidèrent de partir à l'aventuretous les deux. Le soleil n'était pas encore trop chaud et, en utilisant systématiquement, les ombres la marche n'était pas pénible.

Ils tombèrent à un carrefour sur un monument curieux en forme de pyramide tarabiscotée et René fit remarquer que de plantes commençaient à envahir toutes les fentes du " That ", nom que Louise avait cueilli dans un petit guide qu'elle avait trouvé à Paris.

Au carrefour suivant un réparateur de vélo attendait les genoux pliés, son derrière touchant ses talons :

" J'en aurais des crampes si je restais comme cela ne serait - ce que trois minutes et je ne pourrai plus marcher pendant deux jours"

remarqua Louise.

" Marcher peut - être !, mais cela me donne une idée : on va voir s'il les loue "

Dit René qui désigna deux bicyclettes couchées dans l'herbe, près du technicien - es - chambre à air.

Par gestes, il fit comprendre qu'il voulait louer deux vélos ; le plus efficace fut l'inspiration de sortir son porte - billet et, à la vue des dollars, la comprenette du Laotien s'ouvrit immédiatement.


Il se précipita sur les bicyclettes, les épousseta, les gonfla - deux démarches fort nécessaires - et fit son plus beau sourire Lao. René examina suspicieusement les engins : l' un et l' autre avaient beaucoup servi sous l'occupation française, vingt-cinq ans auparavant mais tels quels ils semblaient en état de marche ; seuls les pneus faisaient craindre le pire !

Instruit par l'exemple et les recommandations de Gauthier, René discuta du prix, longuement par gestes, faisant preuve de la plus grande réserve. Le Lao se découvrit le premier et désigna un billet de dix dollars dans le porte-monnaie de l'européen.

Celui - ci en profita pour s'esclaffer hautement et tendit une coupure de cinq dollars; le Lao hocha douloureusement la tête et montra les kips qui garnissaient un coté du porte billet. René en laissa extraire deux billets hors d'usage de mille kips et arrêta la ponction.

Chacun se félicita de l'opération et les deux membres de SOS - Monde enfourchèrent leurs montures et partirent triomphants. Les genoux de René touchaient bien le guidon, mais cela n'atténuait pas sa joie de se sentir ainsi indépendant.

Ils avisèrent une construction moderne qui s'apparentait à un arc de triomphe qui de loin rappelait effectivement l'Arc de l'Étoile à Paris ; en partaient comme à Paris des avenues et celle qu'ils choisirent les mena rapidement à une zone plus agreste que citadine. Il y avait un petit étang aux fleurs violettes et à coté Louise identifia un champ de riz ! En pleine capitale la chose était surprenante.

Mis en appétit de découverte, ils osèrent prendre une rue à leur gauche et se trouvèrent vite dans une zone typiquement Laotienne. Les maisons étaient sur pilotis et leurs murs étaient faits de lames de bambous tressées. Des poules courraient au milieu de la route ocre ; Louise était ravie : elle était bien en Asie, la vraie et un buffle à la démarche d'une extrême lenteur traversa la rue pour bien marquer la chose.


Les gens les regardaient à peine sans paraître surpris ni choqués de leur présence et eux - mêmes ne se sentaient pas dans la position de voyeurs. Ils parcoururent le quartier enregistrant des scènes pittoresques à profusion. Louise regarda avec discrétion une femme laver son enfant dans une bassine blanche en émail ébréché absolument identique à celle que sa grand - mère Picarde utilisait pour nettoyer les endives, un objet qu'elle n'avait pas revu depuis son enfance.

René s'intéressait de près aux activités de deux hommes mûrs qui dénudaient un fil électrique dans l'intention manifeste de faire un branchement sauvage qui ne serait pas prêt de rapporter à la compagnie d 'Électricité locale, pensa René ! L'entremêli de fils le laissa sans voix et il fut presque tenté d'intervenir

Les palmiers - signes incontestables d'exotisme - voisinaient avec d'autresarbres inconnus de Louise et la ravissaient ; comme ils s'intégraient bien au paysage : on était loin des betteraves qui cernaient son " ancien " hôpital ! Les verts étaient vifs et se mariaient avec l'ocre de la terre. Son goût pour contempler les paysages trouvait là un aliment qui la rendit soudainement heureux du choix qu'elle avait fait.

Elle regarda sa montre et pensa que Mariette, de l'équipe du matin, devait finir ses soins et attendre la " visite " : elle y pensa avec une pointe de nostalgie mais cette vie - là n'était plus la sienne !

Elle voulu faire partager ce sentiment à son compagnon de randonnée et elle fut heureuse de le voir adhérer à ses propos :

" C'est vrai, on a de la chance ; moi aussi la vie à Paris me semble si loin que j'ai peine à la retrouver et cela ne fait que... quatre jours ! Je me demande quand même combien de jours on va rester ici, à Vientiane car on doit avoir besoin de vous dans ce pauvre pays. Ça serait bête de perdre du temps ! "

Le " vous " toucha Louise qui n'en laissa rien paraître : il est réellement gentil, pensa - t elle.


Ils reprirent les vélos et retrouvèrent l'inconfort de la selle et les multiples bruits qui émaillaient la marche de ces engins fatigués. Sans se le dire ils craignaient que leur escapade matinale ne soit pas du goût " des autres " et avaient hâte de les retrouver.

À l'Ekalat Noëlle et Michel étaient vautrés dans les deux fauteuils avachis qui meublaient " le salon " : Noëlle lisait un magazine fatigué et Michel regardait fixement le bar.

" Vous auriez pu nous attendre ou prévenir "

" Mais c'est dimanche ! "

Plaida naïvement René

Ce que remarqua avec un rien d'aigreur " le Docteur" qui pensa que c'était bien une remarque d'ouvrier comme l'aurait Papa conclut - elle sans le dire.

Michel rompit le silence gêné qui s'installait en demandant à la ronde si quelque chose frappait les membres de SOS - Monde. Des regards étonnés se tournèrent vers lui et il désigna une bouteille d'eau d'Evian qui trônait solitaire sur l'étagère du bar :

" Nous n'avons laissé que cela de notre conquête coloniale ! : combien a - t - elle vu défiler de soiffards de toute race, soldats de la Légion, Marsouins et autres Coloniaux ; comme est - elle restée intacte après tant de péripéties ! De quoi démarrer somptueusement un roman de Simenon. Ahque je vous dise : !Gauthier doit passer nous prendre pour nous faire faire un tour du bled ; vous avez bien fait de rentrer d'assez bon heure"

Gauthier entra et serra la main de l'hôtelier : ils échangèrent quelques mots et dans un deuxième temps leur mandataire se tourna vers eux et les invita dans sa Renault hors d'âge.


" C'est un problème ici que les voitures : le régime s'en méfie comme d'un instrument d'individualisme et leur importation est un sport de haut niveau, inaccessible au commun de mortels... aux autres aussi d'ailleurs! Mais on pardonne tout dans ce pays merveilleux : les communistes locaux n'ont pas réussi à changer les mœurs Grâce au ciel ou plutôt Grâce à Bouddha, Grâce surtout, il fait bien le dire, à l'incroyable gentillesse de ce peuple "

" Vous en parlez avec une sorte d'amour ! Il y a longtemps que vous êtes ici ? "

Fit remarquer Noëlle.

" Depuis douze ans ; j'étais venu pour six mois et j'y suis toujours ; je ne saurai plus vivre ailleurs. "

Répondit - il avec un fin sourire :

" On m'a dit que vous aviez été " Chez Thoune "... la buvette sur le Mékong ; c'est un bon point pour vous que d'avoir découvert si vite cet endroit extraordinaire ! "

" Mais qui vous a renseigné ? Nous ne connaissons personne que vous ici ! "

s'exclama Michel,

" Ah ! c'est que vous ne connaissez pas Radio - Vientiane : très performante vous verrez ! "

Les quatre compagnons sous la conduite d'un expert eurent en peu de temps une vision assez complète de la capitale : l'arc de Triomphe s appelait ici l'Amo Savary et la légende, rapportée avec un sourire par leur guide, voulait que sa construction avait été décidée pour utiliser une livraison de ciment dont personne ne voyait l'utilité.


Ils furent frappés par la piété discrète de leur guide en visitant le That Luang, réputé le plus ancien et le plus typique monument de Vientiane, fort original au demeurant pour des Occidentaux. Habité par des bonzes, jeunes et vieux, tous au crane rasé et savamment drapés dans des étoffes safran, le lieu respirait le calme et la sérénité.

" On attrape vite les maladies locales, glissa Michel à ses collègues, je sens que je vais me faire bonze "

" Les femmes ne pourront plus vous toucher, je vous le signale aimablement "

Remarqua Noëlle avec un sourire aiguisé.

Ils furent frappés de la taille réduite des parties occidentalisées de la ville et en revenant au centre, la voiture passa devant un monument hideux surmonté d'une faucille et d'un marteau outrageusement dorés qui dominait une vaste esplanade.

"La place Rouge locale : elle sert de moins en moins et n'a d'ailleurs jamais fait le plein ! "

Commenta sobrement Gauthier.

Ils finirent la promenade chez Thoune où Gauthier, avant de revenir vers eux, alla saluer aimablement pratiquement toutes les tables ; toutes occupées en ce dimanche soir.

" Vous êtes installé du coté des Européens du Nord ; à votre gauche les anglophones et devant les Français. Il y a vite des habitudes ici car les distractions sont rares C'est un pays attachant dont la pauvreté pour tragique qu'elle soit préserve la pureté du style de vie. Mais le savent - ils ? et est ce que cela durera ? C'est devenu mon petit univers : je n'en souhaite pas d'autre, même si parfois leurs qualités deviennent à la limite des défauts ! Mais je les aime aussi pour cela ! "

" Quand pensez - vous que notre matériel sera disponible et surtout quand saurons - nous le lieu de notre affectation ?

" Ça c'est la question des Occidentaux efficaces et pressés... Nul ne sait quand ni pourquoi la situation se débloquera soudainement un beau matin et ça... c'est le mystère Laotien. Soyez patients et maintenant regardez le coucher du soleil… "

Et tous restèrent immobiles, le visage tendu vers l'Ouest, goûtant intensément l'instant dans le silence qui était tombé sur la ginguette.

 



Chapitre XI


Jours d'attente


Pierre Dubord
Service commercial
SNBTP
6 avenue desTernes
75017 Paris

Vientiane ce 10 - 10 - 1984

Mon cher Pierre.

C'est un vieux colonial qui t'écrit. Je n'ai rien fait aujourd'hui et n'ai pas de programme pour demain, à part aller assister au coucher du soleil sur le Mékong (un must !). C'est ainsi et je commence à ne plus en être irrité ni surpris. Le pays est certainement attachant sous de nombreux aspects, mais j'avoue que j'ai eu du mal à en accepter le rythme de travail... si j'ose dire ! .

Nous sommes en attente d'une décision concernant l'endroit où notre équipe aura à exercer sa coupable industrie et donc en stand - by à Vientiane. Pourquoi n'y ont - ils pas réfléchi avant ? : question européenne qui n'entraîne ici aucune réponse logique. Quand saurons - nous où aller ? : pas de réponse... Y a - t - il une difficulté et laquelle ? : les bureaucrates locaux vous regardent avec un air ahuri bien imité et ne sourcillent même pas et va la nave !

À Paris il y a dix jours j'aurai bondi, remué ciel et terre, injurié qui de droit ; ici j'arrive à admettre qu'il faut attendre sans (trop) me mettre en colère et sans (trop) me démolir le mental ! Leur maître - mot est " moment " et ils l'utilisent pour tout et n'importe quoi ! Traduction : " Faut voir - Patientez - plus tard - y a pas le feu - attendez - faites pas chi... etc. "


Est - ce le communisme qui rend tout impossible, lent et sans espoir ou est - ce une forme de résistance au régime, résistance qui prend appui sur la nonchalance et la passivité laotienne, je suis bien incapable d'en juger. Moyennant quoi apparemment tout est calme (mais "Le calme règne à Varsovie !" ) et paisible, sans que ce qu'apporte ou n'apporte pas le régime soit discernable.

Mussolini disait des Italiens : " Ce n'est pas difficile de gouverner les Italiens... c'est inutile ". Cela s'applique très bien aux Laotiens : je pense que le gouvernement ne sert à rien et surtout pas à gouverner et tout le monde s'en passe, la misère en sus, malheureusement !

Il y a une paix qui se dégage des paysages qui fait oublier toute dimension politique. Par exemple le soir les gens de Vientiane - la capitale je te le rappelle vont travailler à leurs jardins gagnés sur le bas étiage du Mékong et des petites fumerolles s'élèvent dans le calme du soir. On sent que cela est important et que c'est leur vie.

Quant au coucher de soleil ledit dit fleuve, je ne t'en dis rien tu verras les photos. Je croise les doigts... mais quand seront - elles développées ? Nous y allons religieusement tous les soirs à la même heure - à l'équateur, je te rappelle qu'il n'y a pas de variations de l'heure du soleil.

Mes petits camarades supportent tout cela assez bien : l'infirmière, un peu nunuche mais simple et directe, va le matin à l'hôpital tenter de se rendre utile. Je te ferai de ce bel établissement une peinture fidèle au retour, mais le choc lors de notre visite a été de ceux que l'on oublie pas ! . Quand je pense qu'il y a des ahuris qui, dans notre beau pays, se plaignent de la Sécu, je rêve !. À chaque pas je découvre des choses inimaginables et j'ai du mal à les intégrer dans mon univers perso.

Sur le plan touristique, c'est fantastique car le pays n'est pas encore touché par la masse des toutous, des touristes !. C'est un petit paradis rural - je parle de la capitale, le seul endroit que nous connaissons - si l'on accepte d'oublier les standards de notre vieille Europe. C'est plus une manière - certains ici disent un art, je n'en suis pas encore là - de vivre et de vivre avec quasi rien.

En tout cas le dépaysement est garanti.

Vivre et travailler à quatre va peut - être poser problème surtout si on est totalement isolés. Ici c'est le round d' observation, surtout avec " Le Docteur ". C'est une assez jolie femme qui a dû avoir des petits problèmes. Elle monte au créneau à toute allure sans avoir trop réfléchi tant elle a besoin d'affirmer sa présence. Elle voudrait le pouvoir et me sent comme son rival. Les bonnes femmes comme cela je ne peux guère les encadrer et il y a des risques de conflits...

Cela m'aidera à ne pas perdre la main dans ces combats des chefs qui ont constitué l'essentiel de mon parcours professionnel ! Ne vais - je pas aussi perdre le sens du travail pour devenir un légume à la sauce asiatique ? La suite au prochain numéro

Tibi !
Michel.

PS. Lors du stop - over à Dubaï, air port splendide : on a le sentiment d'être devenu les immigrés de nos émigrés

******

Huguette Vajours
Hôpital de Bruay en Artois
62 Bruay
France Vientiane ce 11 - 10- 1984


Ma chère Huguette.

Nous sommes toujours à Vientiane en attente de savoir où nous serons affecté. Le voyage a été formidable, mais il y a tellement de choses à te raconter que je ne sais quoi choisir. Je suis un peu submergée par les nouveautés et je peux te dire que je ne regrette rien !


La situation des hôpitaux est incroyablement pire que ce que je m' imaginais ; en fait je n 'imaginais pas grand-chose mais là j'ai eu le choc !.

C'est incroyable : tout est d'une saleté invraisemblable : la Chef en ferait une attaque ! Pas de draps, pratiquement pas de matériel. Ils bricolent le matos de perfusion, le réutilisent et s'en servent jusqu' à ce qu' il soit hors d 'usage; ils n'ont pas de cathelons et font leurs perfs avec une aiguille bouillie ; très peu de médicaments, la plupart d'origine française mais en quantité très réduite.

Il n'y a pas de cuisine centrale : c'est la famille qui vient nourrir son malade. Dans les allées, ils font réchauffer sur quelques braises de petits récipients. Du coup tu vois des fumées s'élever de toute part de l'hôpital et principalement des galeries ;( ce sont les mêmes que dans notre hôpital ; ça doit être un reste des Français ; moyennant quoi quand il pleut c'est bien utile !). C'est assez incroyable et tu vois la tête de Verdier, notre cher Dirlo, devant ce tableau... il piquerait une attaque.

Je ne peux pas, vu la langue, me rendre compte de ce que savent exactement les collègues de Mahosot - c'est le nom du CHU comme ils disent, pas gênés sur les titres, comme tu vois ! . J'y vais faire un tour le matin au cas où ils auraient quelque chose à me demander et ça m'occupe !

Dimanche j'ai fait une balade en vélo - tout le monde est en vélo - avec celui que j'appelle l'électricien et qui est un garçon très sympa. Ne va rien imaginer : le groupe se tient sur la réserve comme si on s'observait. Si, comme je le crois, on sera isolés la vie à quatre risque de pas être évidente.

On a été tous les deux dans les quartiers d'habitation des vrais Laotiens. C'est comme dans les livres d'histoire sur la période coloniale : ils habitent de drôles de cases sur pilotis et vivent au ras du sol, dans un grouillement d'enfants nus au milieu des poulets et des buffles. Tout cela dans une atmosphère détendue de calme et de douceur. À titre d 'exemple on n' entend pas les chiens qui n'aboient jamais même quand tu t'approche de la maison de leurs maîtres.


Pour être pittoresque, c'est pittoresque, mais il va falloir drôlement s'adapter et je n'y avais guère réfléchi !

Enfin on verra : demain est un autre jour, comme disait le Patron ! Donne lui le bonjour

Je t'embrasse et embrasse les collègues !

Louise

 

******

Monsieur et Madame Vernant
15 rue des Plantes
95000 Versailles
Vientiane Laos le 6 - 10 - 1984

Chers parents.

Je tiens ma promesse et vous donne de mes nouvelles. C'est assez vous dire que nous n'avons rien à faire, du moins pour le moment et pourtant ce n'est pas le travail qui manquerait !

Voyage fatigant avec un stop en Arabie où j'ai craqué pour un bracelet torsadé qui aurait bien plu à Maman. Vu l'état du Laos je n'aurai guère d'autrestentations tant la pénurie, ici, est extrême.

Vientiane est un grand village très pittoresque ou plutôt très anachronique : on est projeté dans un autre siècle et un autre monde. Le vélo est le seul moyen de locomotion, mais il est utilisé sur un mode paresseux très adapté à la chaleur ambiante. Je n'ai pas encore vu de cycliste en doubler un autre.

Du coté tourisme - Pardon Papa ! - du point de vue touristique, le Mékong vaut à lui seul le voyage et qui n' a pas vu un coucher de soleil sur ses eaux jaunes n' a rien vu ! C'est devenu un rite pour nous et nous y allons tous les soirs. On y rencontre dans une guinguette follement originale, le tout Vientiane, une bonne trentaine de personnes aumaximum, autour d'une bière thaïlandaise pas plus mauvaise qu'ailleurs.

La visite de l'Hôpital principal de la capitale m'a ouvert des perspectives tout simplement effroyables. Rien : ils n'ont rien !. Est - ce la faute du communisme, des autorités, de leur incompétence ou la faute à pas de chance ou à leur pauvreté insigne? Je ne sais que penser et je ne manifeste rien.

Qu'est ce qui nous attend dans le bled ! Je n'ose y penser. Cela excusera mes insuffisances techniques qui seront gommées dans cette misère absolue. Mais comment est - ce possible dans un monde qui se prétend civilisé !.

Les gens ne se plaignent pas et semblent tolérer sans difficulté cette vie d'évidence difficile, mais il est vrai que nos contacts sont et restent superficiels.

Jusqu'à présentle groupe est très contrôlé, mais l'isolement sera peut - être à risque. Le gestionnaire - un certain Michel - voudrait manifestement être le leader, ce que son cursus ne rend pas évident : vous me connaissez, je ne me laisserai pas marcher sur les pieds !

Nous sommes dans un hôtel, fort loin des critères paternels ; le confort y est rudimentaire mais luxueux en regard des conditions locales : qu'est ce que l'avenir nous réserve une fois dans le bled ? !

Les bureaucrates locaux sont pires que tout ce qu'on peut imaginer. Le mélange du communisme stalinien et de la nonchalance Laotienne, dont j'ai appris qu'elle était célèbre dans l'ex Indochine Française, donne un résultat qui rendrait fou Papa.

" Le Laotien écoute pousser le riz " - Proverbe local.

Et cela se marque dans toute la vie quotidienne :

Personne ici au ministère de la Santé n'est au courant de notre mission, mais cela ne dérange personne et nous sommes donc à Vientiane attendant d'hypothétiques décisions. Et pourtant ce n'est pas le travail qui manque.

L'état du pays est d'un sous - équipement incroyable et pathétique. On oublie cela en Europe et rien que pour cela je n'aurai pas perdu mon temps ici.

Je ne sais pas encore si cette mission aura été une bonne ou une mauvaise idée. Mais je vous tiendrai au courant...

Votre fille attentionnée.

Noëlle.

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Robert Viaud
Électricité Générale
24 rue du général Beuret
75015 Paris

Mon vieux Robert

C'est René qui t 'écrit : je te dois bien cela car c' est toi qui m' a donné le coup de pouce pour me lancer dans cette aventure et je ne regrette rien, crois- moi ! .

Pour une aventure c'en est une. L'avion est une invention très au point malgré le manque de place : on est comme des harengs mais cela vaut le pétrole. En parlant de pétrole, l' air port de Dubaï où l'on a fait une escale technique est d'un luxe inouï et a été construit par Bouygues et l'électricité a été faite par Saunier, la boite de Nogent. Tu vois, je ne perds pas la main et tiens mes yeux grands ouverts ; je veux profiter de tout et apprendre le maximum mais cool !


On est obligé de se mettre au diapason du pays. Le vélo est roi - la petite reine... tu vois l'astuce ! - mais ils pédalent avec une sage lenteur que n'explique peut- être pas complètement la chaleur. Pour être cools ils sont cools.

Ils jouent ou plutôt jonglent avec leurs pieds et une sorte de balle en osier ; ça se joue en cercle, le soir à la fraîche et ils y sont drôlement habiles. Les femmes sont minuscules et j'ai l'impression d'être un géant : elles sont réservées, pas comme les Philippines de l'avion.

Certes c'est pauvre à faire peur, mais ils ne sont pas malheureux. Il faut les voir tranquilles sur le pas de leurs portes, le soir : ils savent prendre du bon temps.

Je les soupçonne d'être vachement astucieux et de savoir prendre les choses du bon coté. Je pense qu'ils ne veulent pas changer leur mode de vie, simple et paisible et je les comprends fichtrement ! .C'est un pays communiste, mais je me demande à quoi on le voit !

Ils font des branchements sauvages à tout va et je me demande comment ça ne pète pas plus souvent. ( C'est du 220 ! tu avais raison ! ). Surtout à la saison des pluies !

Les autres sont assez sympas, surtout l'infirmière avec qui je fais du vélo. On a été dans un quartier où il n'y avait que des locaux vivant à la laotienne. Leurs cases, ce sont des cases, sont astucieuses. Sur des pilotis de bois, ils ont un plancher en beau bois - du teck peut - être mais je n'y connais pas assez - et les murs sont en bambous tressés. C'est formidablement astucieux, léger, bien fait et ça ne coûte rien tant tu vois les bambous pousser partout. Ils fendent les bambous puis les entrelacent et cela fait des parois qui valent presque nos placoplâtres !

Le problème actuel est qu'on n'arrive pas à savoir des gens du Ministère où nous devons poser notre mission. C'est idiot, vu les besoins : y a pas qu' en France où les bureaucrates ne foutent rien. Noircir du papier n'est pas un métier ! Eux aussi sont cools mais variété triste.

Bon je te réécrirai après notre installation, ce qui arrivera bien un jour !

Tchao !

René.


Une mission humanitaire comme les autres

Une annonce.
Chapitre II Louise.
Chapitre III Michel.
Chapitre IV Noëlle
Chapitre V René.
Chapitre VI À S.O.S. - Monde
Chapitre VII L'embauche
Chapitre VIII Le voyage
Chapitre IX Vientiane
Au Laos
Chapitre XI Jours d'attente
Chapitre XII Pakxe - L'installation
Chapitre XIII Premiers pas à Champassak
Chapitre XIV Le blessé
Chapitre XV Les voisins
Chapitre XVI Amours
Chapitre XVII Des bienfaits du Laos
Chapitre XVIII Noëlle et Pascal
Chapitre XIX Dernières Nouvelles
 


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