Une mission humanitaire comme les autres

Roman écrit par Dr Pierre BAILLY-SALIN


Chapitre XII


Pakxe - L'installation

Pakxe était donc leur prochaine station au Laos. C'est dans cette préfecture dont le nom venait de pénétrer dans leurs existences qu'on leur ferait connaître la localité où ils effectueraient leur mission.

La fin du suspense arrivait à point. Noëlle et Michel toléraient mal l'incertitude comme le temps perdu et la passivité des " gens du ministère " les insupportaient de plus en plus.

Ils avaient épuisé les charmes de Vientiane, du moins dans les heures lourdes de l'après - midi et ils passaient de longs moments dans les chambres sombres de l'Ekalat à lire ou à rêvasser.

Ils avaient décidé d'un commun accord que Noëlle n'irait pas proposer ses services à l'Hôpital, fut - il pompeusement décoré du sigle CHU ; cela pouvait contrarier leur stratégie de relance au Ministère : rien ne devait empêcher les autorités de les envoyer faire ce que SOS - Monde avait programmé pour leur mission.

Tous les matins Michel et Noëlle se rendaient paisiblement au bâtiment, hideux décidément, du ministère de la santé. Ils y étaient connus et accueillis sans entrain : après un sourire qui se voulait navré, un de leurs interlocuteurs se rendait aux nouvelles et le " Moment " traditionnel les invitait au départ... des bureaux.

Ils avaient essayé de tenter leurs chances séparément, mais Noëlle avait mal supporté un regard en biais que leur interlocuteur principal avait jeté sur ses cuisses qu'elle avait longues et dont elle était, d'habitude, assez fière et qu'elle ne se gênait pas de montrer discrètement et à bon escient

Revenant seule, elle avait dû convenir qu'elle n'avait pas choisi au hasard le matin cette jupe qui s'ouvrait devant par une rangée de boutons. Sa pensée intérieure lui fit apparaître qu'elle ne considérait pas - consciemment lui dit une petite voix qu'elle connaissait bien en elle - consciemment donc, les Laotiens comme des partenaires sexuels éventuels et sa pensée flotta sur les différences culturelles ; puis elle fut ramenée aux pratiques érotiques de ces êtres étranges dont, à y bien regarder, elle ignorait tout...

La situation de quémandeuse dont elle n'avait pas l'expérience avait donné une dimension encore plus désagréable à l'expérience de la matinée et au retour elle dit un peu trop brutalement à Michel qu'elle n'irait plus au ministère :

" Ils me rendent folle avec leur " Moment " ; je vais éclater et puis c'est plutôt ton boulot "

Avait - elle lancée. Celui - ci l'avait regardée avec un mince sourire et Noëlle pensa qu'elle lui abandonnait une partie de ce qu'elle considérait comme son domaine et elle regretta ce mouvement impulsif et se le reprocha.

Ce fut donc Michel qui ramena le surlendemain la nouvelle du Ministère : la Préfecture de Pakxe les accueillerait et les dirigerait vers un des chefs-lieux de la province du Sud. Ils devaient s'y rendre en avion et René suivrait avec un camion avec le matériel, enfin magiquement débloqué des profondeurs insondables des douanes.

Tout s'accéléra en une journée : on boucla les bagages, Michel discuta, sur le conseil de Gauthier, le prix des chambres de l' Ekalat, et ils reprirent la route de l'air port dans la vielle Renault fatigué de leur correspondant.

On était loin à Wataî des splendeurs de Dubaï ou des dimensions de Roissy en ce petit matin. Il n'y avait qu'un avion, un Focker précisa Michel, qui leur sembla minuscule, isolé seul au milieu du tarmac. René les embrassa " comme du bon pain " et ce fut la première manifestation d'intimité que connut leur groupe.


Le vol fut rapide et Louise ne perdit rien du paysage : décidément elle aimait l'avion et les vues nouvelles qu'il offrait sur le monde ; elle attira plusieurs fois l' attention de sa voisine sur les visions du Mékong serpentant au-dessous d'eux et qui semblait, d'en haut, avoir perdu sa majesté.

On ne pouvait pas décemment décorer du nom d'aéroport la simple baraque en bois peinte en vert et, descendant d'avion sur le semblant de piste, les trois membres de SOS - Monde eurent la vision des voyageurs attendant leur avion pour rentrer à Vientiane ; ils s 'étaient spontanément groupés sous l'ombre d 'un bel arbre devant la dite cabane.

" Comme les vaches en Normandie l'été ! Pour eux c'est fini et nous nous commençons ! "

Pensa Michel avec un soupçon de nostalgie en revoyant le pays de son enfance et il imagina fugacement leur groupe dans six mois révolus attendant le vol de retour.

Une jeune femme Laotienne avec sa jupe traditionnelle vint à leur rencontre et dans un français hésitant s'enquit de leur identité.

" Ah ! SOS - Monde ! Sabaïdie ! Bienvenue ! Welcome !"

Et, s'étant inclinée gracieusement les avants bras devant le visage et les mains jointes, elle leur serra cérémonieusement les mains en étreignant celle - ci entre les deux siennes tout en réitérant courbettes et sourires.

" On n'est pas à Vientiane ici ; on vous reconnaît et l'on est accueillis "

Nota Noëlle avec plaisir et elle en eut un préjugé favorable que n'atténua pas la vue du pick - up Toyota vers lequel leur jeune accompagnante les dirigeait doucement. Et les bagages ! La quête de ceux - ci était d'une simplicité rustique ; ils étaient jetés à bas d'une camionnette en vrac à proximité de l'arbre - salle d'attenteavec la douceur habituelle avec laquelle ces objets sont traités dans tous les air ports du monde, grands ou petits.

Le chauffeur du pick - up se précipita pour les aider, découvrant en un large sourire une édentation quasi parfaite. En rien de temps ils étaient installés et Noëlle ne voyait pas sans plaisir dans le rétroviseur Michel assis entre les bagages et s'accrochant aux ridelles pour éviter d'être ballotté d'un bout à l'autre du plateau.

" Nous bien minces : chauffeur aussi ; pouvoir tenir à quatre devant ! dit en riant leur hôtesse, la directrice nous attend. Vous avez eu de la chance : avion presque à l' heure ! "

Ce qui déclencha chez elle une nouvelle fraîche cascade de rire

Le martyr de Michel fut court : il n'y avait quasi pas de circulation automobile dans les rues de Pakxe et les 4 X 4 des Organisations internationales devaient être réservés à la capitale ! Par contre les buffles attelés à d'invraisemblables carrioles d'une longueur étonnante occupaient tranquillement la chaussée et les cyclistes, tout aussi nombreux qu'à Vientiane et peut - être plus pressés, se glissaient dans les interstices.

Le véhicule se rangea dans une cour et ils furent conduits au premier étage dans une pièce presque nue. Une femme et deux hommes se levèrent à leur entrée et l' interprète fit les présentations : la Direction locale de la Santé était tout entière présente dans une attitude empruntée et souriante. Un thé immédiatement servi fut le liant indispensable aux sourires convenus que les uns et les autres s'adressaient faute de mieux.

Des propos condensés de l' interprète, il ressortait, après les salamalecs de circonstance, que SOS - Monde était affecté à Champasak, localité dont les Français ne purent comprendre ni l'importance ni la localisation exacte.

Noëlle tenta vainement de savoir sur quels types de structures sanitaires ils pourraient s'appuyer : un geste vague et un sourire aimable furent la réponse in - interprétable. Michel la relaya et s'enquit, sur un ton très diplomate jugea Louise, des conditions de leur installation. Là encore le sourire Lao se porta fort de tout autre précision. On jouait au cinéma muet, pensa Michel.

Peu à peu certains détails furent éclaircis : le départ aurait lieu demain midi. Le Préfet - ou le Maire, ce n'était pas clair - de Champasak serait prévenu et tout ira bien : grand sourire ! ...

On termina par de mutuelles congratulations d'autant plus chaleureuses que la petite Laotienne souriait plus qu'elle n'interprétait. Par chance pour elle et pour eux un homme de la quarantaine surgit et s'exprima en un français très correct. Humble - cette humilité devant des ignares frappa les trois Français - il se présenta : il était le chirurgien de l'hôpital et n'avait été prévenu que tardivement de l'arrivée de ses collègues et il s'excusait en phrases d'un français à la fois précieux et imprécis de l'ignorance où il se trouvait de la situation...

À ses interlocuteurs européens, il parut très en retrait de la main ; Noëlle et Michel eurent ensemble le sentiment qu'il se démarquait des dires de la Direction de la Santé sur les conditions locales de travail à Champassak. Une certaine gène fut perceptible et Louise s'en étonna in petto.

Leur collègue francophone leur proposa de visiter l'hôpital de Pakxe et les " Officiels " de la santé n'en parurent pas spécialement ravis. Après quelques instants où la tension fut perceptible, les Français furent invités à reprendre leur place dans le pick - up et le chirurgien se joignit à Michel à l'arrière.

" Vous allez à Champassak ? ! Mais il n'y a rien là - bas, mais alors rien de rien ; je ne vois pas où vous pourrez travailler. Ici nous avons des locaux, vides comme vous allez le constater, où vous pourriez vous installer à l'aise. Mais " ils " ont peur de votre présence ! Ne dites surtout pas que je vous ai parlé ! "

Glissa - t il en baissant la voix et en regardant autour de lui.

L'hôpital local était fait de baraques en bois toutes en longueur et d'origine française :

" Ça ils ne vous le diront pas "

Indiqua le chirurgien local.

Propres, elles étaient pour la plupart vides tant de malades que de personnel. Seule la maternité connaissait une certaine animation. Les berceaux en fer antédiluviens étaient rouillés et chaque nouveau - né avait son bonnet de laine.

Cela amusa et surprit fort Michel qui apprit de Noëlle, à cette occasion, que les enfants perdaient l'essentiel de leur chaleur par le crâne, même en ces pays tropicaux.

La " salle d'opération " les frappa par son dénuement : une vieille table d' opération qui avait connu des jours meilleurs, avant - guerre - celle de 1939 -, deux petites tables à instrument et un minuscule scialytique.

Ils tinrent tous à témoigner à leur confrère leur solidarité et à lui dire leur admiration de le voir travailler dans de telles conditions ; celui - ci poussa un soupir et leur demanda vivement de penser à lui lorsqu'ils viendraient de Champassak " en détente ! " ajouta - il avec un mince sourire.

À leur sortie de la maternité, ils furent rejoints par l'adjoint de la Directrice de la Santé qui prit la place du chirurgien auprès de Michel pour les conduire à l'Hôtel. Si Vientiane était rustique suivant l'expression d'un connaisseur, Pakxe c'était la vraie campagne ; un petit centre avec des constructions en béton et tout de suite des champs et des maisons en bois tout à fait misérables. Ni Noëlle ni Louise ne parlèrent pendant le trajet : ce n'était pas tant l'exotisme qui les subjuguait que la misère perceptible même vue d'une voiture écrasant de sa supériorité la masse des passants.

La " réception " de l'hôtel était minable, réduite à une table dans un couloir au rez-de-chaussée, sale comme pas permis avec des relents grailloneux.

L'adjoint de la direction de la Santé tint à monter avec eux au premier étage où on leur ouvrit deux chambres.

"Mais nous sommes trois "

Protesta Michel. Une discussion confuse s'établit entre le responsable de l'hôtel un petit - mais n'était - ce pas, ici, un pléonasme - vieillard fragile et le fonctionnaire. Un silence buté s'en suivit et l'on redescendit à la " réception ".

" Deux chambres "

Triompha le gargotier en exhibant une feuille de papier que le fonctionnaire de la Santé tint à vérifier sans grandes illusions. Il tenta de fléchir le cerbère, tourna vers ses hôtes un visage désolé et hocha la tête en signe d'impuissance. Michel monta au créneau et protesta vigoureusement contre ce qui leur était imposé.

Les visages Laotiens se fermèrent avec un air inexpressif et boudeur contrastant avec le sourire Lao si gentil habituellement. Les gens de SOS - Monde avaient déjà appris à déchiffrer ce signe d'embarras et de refus de s'avancer ou de se prononcer devant les problèmes quelque'ils soient. C'était autre chose que de la mauvaise volonté : ils savaient faire le dos rond, mieux ils le devaient, question vitale...

Les Français découvraient ou devinaient qu'ici les ennuis pouvaient conduire loin et ils n'avaient pas encore mesuré l'ampleur du phénomène. Louise le pressentait qui voulut faire taire l'administrateur, déclenchant la colère de ce dernier.

" Si on ne se fait pas respecter dans ces pays, on est foutu. On n'est pas dans le Pas-de-Calais et je sais quand il faut céder et quand il faut se montrer ferme. "

Fermeté ou pas ils durent s'accommoder de ce qui leur était destiné et montèrent leurs bagages de très mauvaise grâce ; celle - ci fut décuplé par l'état de leurs chambres. Noëlle examina les draps et fit la grimace :

" Chère amie ! Je nous conseille très vivement de coucher tout habillée : cela réduira les risques d'attraper une quelconque saloperie. À propos ronfle - tu ? "

Sur la réponse négative, elles descendirent retrouver Michel pour une promenade dans Pakxe. Plus petit que Vientiane la principale curiosité de cette bourgade était un pont au-dessus d'un affluent conséquent du Mékong et les berges de celui - ci dominaient les eaux sans la large bande de sable qu'ils connaissaient dans la capitale. Le fleuve y perdait en majesté car il était plus proche.

Ils découvrirent un marché animé avec des étals de légumes assez fournis et Noëlle tomba en arrêt devant une boutique poussiéreuse :

" Un antiquaire ! formidable ! "

Et elle entra dans le magasin sans plus hésiter.

" C'est mal parti ! "

Murmura Michel, et il s'enferma en une passivité maussade. Dans un bric à bras qui n'avait rien de savant coexistaient tout et n'importe quoi. Des statuettes de Bouddha, des pipes d'opium, en bambou ou en ivoire, des colliers informes et des bibelots d'origine indéterminée.

Louise fut frappée par la tristesse infinie et lasse du visage de la propriétaire ; celle - ci, assise sur un tabouret, ne prêtait aucune attention apparente aux investigations de Noëlle : comme si elle n'avait pas été concernée. Elle répondit cependant à deux demandes de prix - en dollars - dont le montant fit frémir l'infirmière et hausser les épaules au gestionnaire.

Après un temps, Michel insista pour quitter la boutique en promettant de revenir sans faute. Ils se mirent en quête d'un restaurant, mais tout ce qu'ils voyaient leur paraissait d'une saleté épouvantable.

Il fallut interroger plusieurs fois des passants, avec force mimiques pour signifier un besoin urgent de manger avant d'obtenir une vague indication sur l'adresse d'un restaurant. Près du pont c'était une boutique dans un cube de béton où une dizaine de tables nues en formica étaient rangées militairement attendant le chaland.

On leur apporta une carte en Lao, déclenchant moult gestes désolés d'incompréhension. Après un temps d'attente, un homme se présenta et donna en français quelques indications. Il conseilla une soupe et du poisson ; les lectures de Noëlle l'avaient avertie que les poissons du Mékong pouvaient avoir des vers et ils se replièrent sur le sempiternel poulet.

Le dîner fut morose. L'absence de René se faisait sentir et Louise s'interrogea sur les difficultés qu'il ne manquerait pas de rencontrer dans son voyage, seul sans connaître la langue.

" Vous le reverrez votre chéri. Gauthier est formel il n'y a pas de problèmes pour les transports par la route. "

Louise le regarda d'un air fâché ce qui ravit Michel. Sans bouder vraiment, elle se renfrogna puis se morigéna - ne pas montrer son mauvais caractère - et fit un effort pour participer à la conversation : heureusement car Noëlle et Michel n'étaient pratiquement d'accord sur rien ; la jeune infirmière éclata d'un rire irrépressible lorsque la discussion se fixa un temps sur la position respective des Deux Magots et du café de Flore à Saint Germain des Près : ses collègues en disputaient avec passion comme s'il s'était agi d'un sujet essentiel.

Peu à peu une nostalgie rampante s'installa. Paris fut présent dans les esprits surtout pour les deux protagonistes de la discussion germanopontine. Que fait - on ici ? Quel intérêt à se trouver dans ce bled paumé, à coucher dans des draps infects, à discuter avec de pauvres types qui ne comprennent même pas le français et à ne même pas savoir ce que l'on ferait le lendemain !!!

Les coudes sur la table dans la lumière blafarde du néon qui conférait aux choses un aspect sinistre les trois français figuraient assez bien les héros fatigués en proie au coup de cafard et au mal du pays.

" On joue Russes Blancs, dirait mon père : il me l'avait bien prédit, ce vieux singe ! ca devait nous frapper un beau jour ou plutôt un beau soir ! Allez : il faut réagir ! Vodka pour tout le monde ! "


S'exclama Noëlle. Une certaine agitation secoua le personnel et le patron après concertation avec ses adjoints apporta cérémonieusement une bouteille transparente et remplit les verres.

Chacun flaira et goûta cérémonieusement, cherchant à deviner le nom de l'alcool ainsi proposé. On élimina la vodka, les alcools blancs français et un des serveurs donna la réponse : " Saké ". Saké ou pas ça n'avait guère de goût mais après le verre de Noëlle, celui offert par Michel puis celui du patronl'atmosphère avait changé et la pièce avait trouvé une certaine chaleur amicale toute neuve.

Le trajet du retour vers l'hôtel et la mise au lit furent effectués dans la gaieté, avant que le néon de la seule enseigne lumineuse de Pakxe ne se manifestât avec une régularité métronomique inondant les deux chambres d'une lueur verte puis rouge...

Le lendemain Louise se leva la première ; elle se reprocha ne n'avoir pas fait sa petite lessive la veille et prit une douche soigneuse se disant que nul ne savait ce que réservait l'avenir.

Se retournant, elle vit posé sur elle le regard aigu de Noëlle. Sa pudeur en fut choquée : déjà à l'école d'infirmière elle tolérait mal les scènes de promiscuité et les regards sur sa nudité.

Au rez-de-chaussée, en guise de petit-déjeuner, la jeune Laotienne qui les avait accueillis à l'aéroport était là, fraîche dans sa jupe traditionnelle et son corsage blanc :

" Nous partir pour Champassak tout de suite ; avoir la voiture ! "

Michel se retrouva assis sur le plateau arrière, toujours entouré des bagages mais avec la présence encombrante de lattes métalliques qui rendaient sa position peu facile, pendant que les trois jeunes femmes se serraient à l'avant, avec le chauffeur, tout sourire comme d'habitude.


La route asphaltée fut progressivement remplacée par une route de terre rouge. Le pick - up laissait derrière lui un nuage de poussière qui se déposait sur les buissons qui bordaient " la piste " (Louise) et devenaient du plus bel ocre, tandis que leurs feuilles hautes restaient du plus beau vert.

Noëlle voulut prendre une photo : les Laotiens se récrièrent lorsqu'elle recula de quelques pas dans l'herbe du fossé :

" Attention ! mines : pas quitter la route."

cela doucha nos missionnaires, mais les gens de SOS Monde découvrirent qu'il ne fallait pas pousser très fort les Laotiens pour que ceux - si se saisissent de toutes les occasions pour s'offrir du bon temps et paresser quelque peu !. La pause aurait duré certainement plus longtemps si Michel n'avait pas donné le signal du départ sur un mode bougon. Il entendit dans la cabine des rires joyeux : manifestement on se moquait de son rôle de chef tel qu'il l'avait assumé.

Cela ne contribua pas à lui faire mieux accepter les cahots de la route. À certains passages, il découvrit même la très classique tôle ondulée qui le faisait tressauter douloureusement sur le plancher du véhicule. Il eut donc peu l'opportunité de contempler le paysage. Après une plaine un peu monotone aux cultures séparées par de vastes étendues de bois, les champs se firent plus rares :

" C'est la savane "

Songea Noëlle et la route rectiligne commença à monter et à descendre des collines boisées à perte de vue. La chaleur devint étouffante et Louise regretta de ne pas être au grand air sur le pick - up : la mimique de Michel n'inspirait pourtant pas la béatitude et le soleil lui brûlait tête et bras augmentant à grand feu sa mauvaise humeur.

" Champassak ! "


Indiqua le chauffeur avec son bon sourire édenté. De chaque coté des masures en bambou tressés bordaient la route puis elles devinrent plus nombreuses et plus serrées jusqu' à ce qui devait être " le centre ". En regard de deux ou trois maisons en dur, à droite de la rue, il y avait une assez vaste pelouse pelée dont un coté était fermé par une baraque en bois sombre.

" Dispensaire ! c'est là ! Moment ! "

Dit en souriant timidement leur jeune accompagnatrice et elle partit vers une échoppe ouverte sur la route. Un garçon en sortit et couru à toutes jambes - geste héroïque au vu de la chaleur.

Il revint avec un homme de la quarantaine, au visage rond qui, lui, avançait lentement, peu pressé pensa Noëlle d'affronter ses responsabilités. La jeune fille de Pakxe le salua à la Laotienne avec l'esquisse d'une révérence et lui remit une lettre.

" Monsieur le Maire ! "

présenta cérémonieusement l'interprète et l'homme tendit à la ronde ses deux mains pour serrer celles de ses hôtes, dans un geste que les Français commençaient à bien connaître ; il se tourna vers sa jeune compatriote pour leur adresser quelques mots de bienvenue et s'excuser de l'inconfort de l'installation.

Michel répondit dès la fin de la traduction et fit les présentations. Louise pu voir le visage de Noëlle se pincer légèrement et elle prit alors conscience des enjeux de pouvoir qui se jouaient entre les deux supposés " chefs ".

Le gamin, un très jeune homme plutôt, repartit à toutes jambes et au retour il faisait tourner fièrement un trousseau de clefs. Le groupe partit en direction de la baraque et Thoune - c'était le nom (ou le prénom ?) de leur présentatrice - expliqua que :

" Ce bâtiment est de l'armée française et est pour être le centre Médical "

Les membres de SOS - Monde approuvèrent gravement et pénétrèrent dans la construction de leurs lointains prédécesseurs. C'était propre, très propre et totalement vide. Un couloir central distribuait à droite et à gauche des pièces vides dont l'odeur de renfermé trahissait l'abandon.

" Une fois meublé ça peut faire un centre de consultation intéressant, dit Noëlle, et où serons - nous logés ? "

La question, une fois traduite, déclencha une certaine panique et une discussion confuse en Laotien.

"Monsieur le Maire pense ici !. Pas d'hôtel à Champassak ! Rien d'autre ! "

Énonça enfin leur jeune amie en rougissant. Les " chefs " de SOS - Monde échangèrent des regards douloureux et ne dirent mot mais toute leur attitude signifiant bien la profondeur de leur surprise attristée.

Le chauffeur, conscient de la gène, se précipita sur l'arrière du pick - up et, tout joyeux, avec de grands gestes montrant que tout allait s'arranger, il en descendit les objets métalliques qui avaient rendu le voyage de Michel si inconfortable et qui se révélèrent être les éléments de lits individuels, type hôpital modèle 1939, avec des sommiers de lames de fer et des montants où adhéraient encore de vagues traces de peinture blanche.

" Vous voilà condamnée à la chasteté, à tout le moins au célibat, Chère Madame "

" Oh ! c'est fin... Vous feriez mieux de vous enquérir de la nourriture car nous ne serons pas vos bonnes "

" Manger ? Là ! "

Intervint, tout sourire, la jeune Thoune en désignant la boutique où deux tables étaient effectivement visibles.

Une demi - heure après, les lits étaient sommairement répartis dans quatre chambres, les bagages distribués et les représentants de la Santé Régionale leur faisaient des adieux d'autant plus chaleureux que le temps les pressait.

" Obscurité : danger ! "

Commenta sobrement le chauffeur en agitant la main comme lorsqu'on se brûle !

Restés seuls SOS - Monde entra dignement dans la baraque - leur baraque - et en fit une inspection plus soignée. Noëlle et Louise tombèrent d 'accord sur le plan d 'aménagement : à une extrémité, celle qui est vers la route, la salle d'attente, le bureau médical, la salle de soin, le bureau de Louise, et deux chambres " d'hospitalisation ". À l'autre bout, la " zone habitation" avec ses quatre chambres et une pièce d'eau spartiate avec un WC, une douche et deux lavabos. Entre les deux les bureaux de " l'administration " comme le dit en riant Noëlle et des pièces de réserves.

Réconfortés par ces décisions qui donnaient un cadre à leur future activité les trois membres de l'ONG unirent leurs efforts pour monter correctement les lits. Ils y arrivèrent sans trop s'énerver mutuellement. René aurait arrangé ça plus vite, pensa Louise qui garda prudemment cette réflexion pour son usage personnel.

" Pour être simple, c'est simple : mais je me souviens que sur la liste du matériel il y a des matelas pneumatiques et des sacs de couchage "

Remarqua Michel qui fouilla dans sa sacoche et, en compulsant ses listes, il confirma l'heureuse nouvelle.

" Heureuse vous en avez de bonnes ; je ne me doutais quand même pas que l'on nous ferait travailler dans de telles conditions. Vous devriez protester ou tenter de faire quelque chose au niveau de Pakxe ou à Vientiane ! Il ne nous reste plus qu'à espérer que René arrivera le plus tôt possible ! "


S'exclama Noëlle, faisant soulever les épaules de Michel dans un geste d'impuissance.

Le maire et deux Laotiens entrèrent à cet instant : ils apportaient des papayes, deux bouteilles de Pepsi - cola et des verres ; ils furent suivis par quelques jeunes qui apportaient deux tables et quatre chaises, chacun saluant à la laotienne avec une grande déférence les arrivants.

Un homme plus âgé suivait qui les salua en un français correct et l'homme glissa à voix basse :

" Ancien soldat de l'armée Française ! "

Et il ajouta à mi - voix en désignant le maire d'un discret mouvement de menton :

" Lui, homme de la jungle "

Ce qui demeura hermétique à nos amis.

L'ex-militaire s'enquit de leurs désirs immédiats : cela amena une détente certaine : pouvoir se faire comprendre était un atout de taille. Cette gentillesse toucha Louise et Noëlle et tout le monde se rendit au " restaurant " où l'on déboucha une grande bouteille de Pepsi-cola, manifestement en leur honneur. Louise nota que seuls les " autorités " avaient accès à cette boisson occidentale. Les porteurs eurent droit à de l'eau dans leur verre.

L'interprète se révéla intelligent et bavard. Il leur annonça que deux femmes seraient mises à leur disposition pour le ménage et que l'une parlait un peu français

" Les bonnes sœurs à Savannakhet "

Murmura - t - il imperceptiblement.


Par son canal, Noëlle et Michel tracèrent à grands traits l'action qu'ils comptaient mener dans la ville et sa région, les limites de celles - ci aux soins de base et, à la fin de leur intervention, un cercle compact d'hommes tous très pauvrement vêtus entourait la " table d ' honneur " dans un silence respectueux.

Michel se régala de la scène ainsi fournie à un éventuel cinéaste qui eut fixé avec tous ses détails pittoresques ne le groupe qu'ils formaient dans cette masure en bambous, les Occidentaux au centre de la composition, entourés du cercle respectueux des indigènes se régalant de la bonne parole autour du symbole dérisoire et décisif de l'Occident en la forme de la bouteille de Pepsi, le tout éclairé par une méchante ampoule pendant du plafond.

Pourquoi Pepsi et pas Coca-Cola se demanda - t - il, soudainement repris par ses habitudes de " commercial " rompu aux analyses de marché et du marketing. Quel partage du monde des zones d'influencemêmes réduites au modeste Laos des boissons impérialistes avait ainsi été décidé, où et par qui ?

Le maire se leva brusquement (l'homme de la jungle, pensa Michel) et tous de prendre congé, dévoilant dans l'arrière-fond du café, une table dressée pour eux avec des assiettes, trois verres, et deux plats : une soupe et une sorte de ratatouille ; le Pepsi avait disparu : seule restait sa bouteille mais remplie d'eau.

Réconfortés ils mangèrent de bon appétit, trouvèrent la soupe excellente ainsi que le pain - pain Français précisa l'interprète avec fierté - et découvrirent de rares morceaux de poulets au milieu des légumes du plat principal. Noëlle fit attention de boire très peu, l'eau ne lui inspirant guère confiance. Une papaye couronna leur premier repas dans leur nouveau lieu de travail ; le caractère exotique, plus que le goût du fruit les enchanta.

Assez joyeux, ils quittèrent le restaurant et leur nouvel ami et, à pas prudents, se dirigèrent dans l'obscurité vers " leur " baraque ". Michel avait les clefs et tâtonna un moment avant de trouver la serrure ; puis toujours à tâtons il explora la cloison à la recherche de l'interrupteur.


Noëlle l'éclaira, mais en vain avec son briquet laborieusement extrait de son grand sac à main. Finalement découvert, le maniement de l'interrupteur ne fit pas jaillir la lumière.

En un clin d 'œil le moral s'effondra dans des récriminations :

" Tu aurais pu t'en rendre compte avant "

Glapit Noëlle.

" Tu étais assez grande pour le faire aussi "

Répondit vexé Michel et Louise fit remarquer qu'on ne voyait aucune lumière dans le pays et elle conseilla de se coucher en attendant le lendemain. Elle pensait in petto : Pourvu que René arrive bientôt !

Le lendemain matin, nouveau coup du sort : pas d'eau aux minables robinets. Louise s'habilla sommairement, sortit, goûta l'air et alla au restaurant et en revint quelques minutes plus tard accompagnées du garçon débrouillard, chacun avec un sceau d'eau.

Ayant fait une toilette de chat ils se rendirent au " restaurant " où ils eurent droit, après palabres gestuels, à de la soupe, celle d'hier ou sa sœur, et du pain :

" Baguette "

Dit le jeune homme qui ne les quittait plus d'un pouce, particulièrement Michel qui semblait avoir sur lui un attrait considérable.

C'est à lui qu'ils s'adressèrent pour demander toujours par gestes la présence de l'interprète ; une mimique marquant bien l'impossibilité d'une telle requête leur fit comprendre que ce dernier était, à cette heure, dans les champs à travailler.


Michel décida qu'une réunion " institutionnelle " s'imposait. Il exposa qu'il fallait faire une liste des doléances à l'attention du maire, concernant les conditions matérielles minimums nécessaires pour une mise en route du projet.

Louise, devant le silence de Noëlle, ajouta qu'il semblait tout aussi important de faire connaître à la population les buts de leur présence, tout en convenant qu'il y avait d'autresurgences.

De toute façon sans le matériel il était difficile d'envisager quoique ce soit, estima Noëlle. Mais elle pensait qu'une action auprès du maire s'imposait et rapidement.

" On ne peut rester sans eau ni électricité : ça c'est clair et net ! "

En fait ils étaient les uns et les autres dépassés par le nombre des problèmes à résoudre et ne savaient comment les aborder. Michel voulait faire un " listing " des gens à contacter ce qui eut le don de déclencher un fou - rire de Noëlle qu'elle prit bien soin de ne pas contrarier. Vexé Michel se retrancha dans un silence boudeur et la réunion se termina dans un climat détestable.

Louise, excédée, alla à leur " boutique " habituelle et s'enquit des femmes de ménage annoncées. Sans rien demander, le " garçon ", toujours lui, s'en fut à leur recherche et ramena deux paysannes, l'une jeune et peu coopérante, l'autre avait un air particulièrement triste : c'était elle qui avait mieux que des notions de français.

Michel intervint alors pour se faire préciser qui payerait les heures de travail : la mairie ou SOS Monde : les malheureuses n'en savaient, bien entendu, rien. Cette intervention rappela à Louise le chef du personnel de son hôpital dont le talent pour compliquer des choses déjà pas simples était proverbial et elle eu peine à cacher son irritation. L'infirmière pria fermement l'administrateur de la laisser faire et elle précisa en riant qu'à 1$ le repas, le salaire horaire moyen, même pondéré des éventuelles prestations sociales, des femmes de ménage ne devait pas être ruineux.


Elle fit montre d'un sens du contact excellent : elle leur expliqua ce qu'on attendait d'elles. Le lavage à grande eau, en l'absence supposée de produits de ménage, semblait la seule solution et il fut convenu qu'il commencerait aussitôt. Le jeune homme, toujours disponible fut requis pour participer à la corvée d'eau...

Noëlle se changea et alla faire un tour exploratoire du pays : elle adorait découvrir un pays nouveau, mais son tour fut bref :

" Mes enfants c'est le bled, le vrai ; il n'y a pratiquement rien à voir ... par contre pour être pittoresque c'est pittoresque ! "

Pendant ce temps, Louise supervisait le travail des aides ; elle fit parler la francophone et apprit, mine de rien, un tas de choses sur Champassak, ses traditions, son histoire récente. Elle eu la confirmation que personne ne savait rien sur leur installation et elle s'en étonna. Elle négocia ce que ces dames pourraient préparer à midi comme repas. L'infirmière apprit aussi qu'élevée chez les sœurs françaises celle qui parlait français avait été " enfermée dans une île " le nm Goum " en guise de punition. Le pays ne lui paru plus aussi riant qu'au départ…

Michel, lui, était parti à la recherche du maire et de l'ex - soldat de l'Armée Française : il comptait bien obtenir l'électricité et l'eau, même s'il n'avait aucune idée des travaux à entreprendre. Ses demandes trouvèrent les Laotiens assez désemparés. Il finit par comprendre que le bricoleur en chef du village avait été expédié en un " séminaire " qui, précisions difficilement obtenues de l'ex-tirailleur, prudent, était en fait bel et bien un camp de ré - éducation situé sur une île du Mékong.

Le repas de midi " à la cantine " fut la réplique exacte de celui du soir précédent et il fut interrompu par des coups de klaxon répétés : de la fenêtre d'un camion poussiéreux les membres deSOS Monde virent la figure hilare de René sortir et demander où l'on devait décharger le matériel enfin récupéré.

Les trois Français coururent vers " leur " baraque accompagné par le garçon qui depuis leur arrivée de les quittait plus.


" Pas mal, cela me rappelle tout à fait le camp du Valdahon ! "

Dit René en s'étirant

" Tu vas voir quelque chose qui te le rappellera encore plus "

Ricana Michel et il le tira vers sa chambre et désigna le lit aux lames métalliques.

" Bon ! Moi qui ai déjà le dos en capilotade après ces foutus kilomètres sur des routes impossibles, cela ne va pas me guérir ! "

" Et puis on n'a ni l'eau ni l'électricité ! "

" Oh ! Ça, ça devrait pouvoir s'arranger : Allez zou, on décharge les gars ! Faut libérer le camion j'ai promis son retour pour demain ! "

Fit - il en se tournant vers ses compagnons et joignant le geste à la parole, il commença à descendre les caisses du camion. Louise se précipita et, lisant les étiquettes, orienta les porteurs vers les pièces appropriées. Tout le monde s'y colla y compris les femmes de ménage et en une heure les colis étaient en place dans ce qui devait être leur lieu de vie et de travail.

" Et maintenant le cadeau du chef, la merveille des merveilles "

Dit René en portant à bout de bras, suant et soufflant, un réfrigérateur

" On t'a déjà dit qu'on n'avait pas l'électricité ! Bougre d'âne "

" T'inquiètes ! Je prendrai bien une douche "

Murmura René dont la chemise était d'une belle couleur rougeâtre.

" On t'as déjà dit aussi qu'il n'y a pas l'eau. "


" S'il y a des sanitaires c'est qu'il y a eu de l'eau : on va bien la retrouver ! T'inquiètes !

Laissant ses camarades faire l'inventaire et s'extasier devant les trésors qui sortaient des caisses de leur organisation, René, suivi de l'inévitable jeune garçon, se rendit au " café " qui, lui, avait l'eau ; il chercha le départ de la canalisation oubliée et n'eut guère de peine à la localiser ; il se dirigea ensuite au droit de la salle d'eauet avec une bêche n'eut pas à fouiller longtemps pour tomber sur un tuyau métallique puis sur un robinet qui céda après maints efforts.

" Louise ! Louise ! Ouvre les robinets s'il te plaît "

" Ça marche ! Ça marche. Ce n'est pas de l'eau bien propre, mais ça marche ! "

Cria celle - ci peu après avec une voix joyeusement triomphale.

René alla droit à une caisse étiquetée " Matériel électrique " en sortit un rouleau de fil coloré et disparu à la recherche d'un poteau. Il y grimpa tel un singe et resta perché un moment. Il descendit en se frottant les mains et tira derrière lui le fil et s'activa vers une boîte en bois dans la pièce d'entrée. Puis il prit une prise électrique et l'installa avec des gestes vifs et précis sous les yeux admiratifs de Noëlle ; il demanda à Louise de prendre une lampe dans la caisse, mit la fiche et la lumière fut !

" Et gratuitement ! Le branchement nomade et sauvage, c'est dans la tradition du pays, pas vrai Louise ? "

Rigola René.

L'atmosphère du repas du soir fut bien plus euphorique que la veille. René demanda en quoi allait consister l'action deSOS - Monde en ce lieu perdu. La définition des " soins primaires " le laissa perplexe : le B - A - BA finit par résumer Noëlle.

Elle en profita pour marquer nettement son territoire et les limites de celui - ci : elle ne fera aucune chirurgie, même petite et surtout pas d'obstétrique.

" Des accouchements "

Précisa Louise à l'intention de René qui écarquillait les yeux.

" Et s'il s'en présente "

Demanda - t il avec un grand naturel et sans une once de méchanceté.

" Ce n'est pas mon problème et les femmes ici doivent savoir se dé brouiller "

" C'est la grâce que je leur souhaite ! "

Ne put s'empêcher de soupirer à voix très basse Michel.

" Vous ! On ne vous a pas sonné et occupez-vous de vos oignons "

Louise se lança alors dans un long discours où elle tenta de cerner ce que serait son propre rôle :

" Au fond, je ferai de l'éducation sanitaire : je n'y connais pas grand-chose, mais ça me paraît assez simple "

Conclut - elle.

Son intervention eut l'heureux résultat de détendre L'atmosphère et René comprit, à un clin d'œil, que tel était, en fait, son but. Le brave garçon n'avait pas encore mesuré les conflits potentiels qui risquaient d'agiter l'équipe et se sentait un peu déphasé. Il concevait bien en revanche la difficulté de s'adapter aux conditions locales.


Chacun rentra dans " sa " chambre qui évoquait pour l'un la caserne, pour l'autre le pensionnat, pour la troisième un vague souvenir de colonie de vacances et pour la quatrième le spectre de six mois à passer dans cet inconfort.

 


Chapitre XIII

Premiers pas à Champassak

Les trois premiers jours passèrent à toute allure, pris qu'ils étaient par leur installation. Le matériel prévu par l'équipe logistique de Paris était bien conçu et il n'y eu pas de manques majeurs.

" On peut dire ce que l'on voudra de Marchais mais il connaît la musique : je n'ai pas encore repéré d'oubli grave "

Remarqua Noëlle, ce que tous confirmèrent.

La place dans la baraque permettait à chacun d'avoir son coin à lui. Michel avait un bureau dont le mobilier, comme celui de toutes les autres pièces, était constitué des caisses de matériel envoyées de France : deux caisses forment une table, une caisse égale un siège. C'était la dotation minima de chaque pièce, y compris de leurs chambres personnelles. Le bureau de Noëlle avait droit à deux " sièges " pour les consultants et d'un lit métallique baptisé table d'examen et recouvert d'un drap pour la circonstance. La salle de soin était plus encombrée avec les cantines de médicaments et de petit matériel chirurgical et Louise s'ouvrit auprès de René de ses soucis techniques : il lui fallait aussi un lit d'examen et de l'eau… Bien que cette requête lui semblât impossible à satisfaire.

René la plaisanta sur son expansionnisme insatiable, se gratta la tête et partit en sifflotant, signe chez lui d'une profonde concentration ; il partit vers le " pays " le garçon, Pham, sur ses talons et revint avec deux aides : ce n'était pas la main d'œuvre qui manquait…

Michel proposa aux deux femmes une promenade détente et exploratoire aux alentours, eux qui n'avaient pas quitté le centre du village. Ils continuèrent la route de leur arrivée, nommée par eux " route de Pakxe " : ce besoin de nommer les lieux et les gens était une de leur activité commune. Ils prenaient ainsi possession de leur nouveau domaine.

Des " maisons " sur pilotis bordaient cette route poussiéreuse et le dessous des maisons était fort animé dans un désordre pittoresque : la basse - cour y avait ses assises, parfois agrémentée d 'un, voire deux, petits cochons, un lit y trônait, une masse grouillante d'enfants culs nus s'y démenait joyeusement et Louise découvrit un métier à tisser aux bâtis de vieux bois patiné :

" Ma grand - mère était à la Lainière à Roubaix ; elle avait presque le même - du moins il me semble ! "

Mais il n'y avait pas d'adulte sous la case et ils ne purent avoir de renseignements utiles.

L'étage supérieur était, vu de loin, bien plus soigné que le " niveau bas " : ses parois étaient faites des mêmes murs de bambous tressés qui les avaient tant impressionnés à Vientiane et il comportait une terrasse ouverte sur le côté. Un vase était placé en équilibre sur la rambarde et Noëlle se promit de demander quel en était l'usage. C'était, en tout cas, très photogénique, pensa Michel.

Forte de son expérience de Vientiane lors de leur promenade vélocipédique, Louise proposa d'emprunter une ébauche de rue qui partait à la perpendiculaire. S'éloignant de la rue principale on descendait dans la hiérarchie des demeures Champasakiennes. Les maisons à pilotis laissaient la place à des masures beaucoup plus délabrées et le désordre perdait de son côté exotique pour devenir misérable.

Un petit lac, un étang plutôt, était à demi envahi de plantes aquatiques et ce n'est que par hasard que Michel aperçu les cornes des buffles qui y prenaient leur long bain vespéral. Des enfants minuscules en regard de ces monstres tinrent à monter leur savoir faire et leur puissance en faisant sortir de l'eau ces masses au cuir sombre, sautant sur leur échine et en les encourageant de la voix et du geste à regrimper sur la berge. Les efforts de ces puissantes masses étaient touchant de maladresse dans une débauche de sursauts musculaires violents.


Tous regrettèrent de ne pas avoir leur appareil photo et ces regrets furent encore plus vifs en arrivant sur l'enclos d'un temple rural, un Wat, tint à préciser Noëlle forte de ses prérogatives de spécialiste de la culture locale. Une pagode très simple était au centre de la composition avec à sa gauche le bâtiment à un étage où habitaient les bonzes comme en témoignaient les toiles safran qui séchaient sur les rambardes. À l'entrée, il y avait un curieux édifice avec un énorme gong suspendu par des cordes à une poutre centrale.

" Les femmes ne doivent pas toucher les bonzes "

Rappela doucement Noëlle ce qui fit ricaner Michel qui demanda si les bonzes pouvaient, eux, toucher les femmes. Noëlle haussa les épaules sans répondre et Louise se dit que des accrochages comme celui - ci n'allaient pas manquer de se répéter. Elle prit bien soin, elle, de s'imprégner de la paix que respirait ce lieu et un sentiment de plénitude l'envahit. L'Artois est loin !… Et elle était contente d'avoir choisie le départ à l'aventure !

Durant le trajet du retour, les volontaires de SOS - Monde multiplièrent les salutations à tous ceux qu'ils croisaient. Une manière comme une autre de se faire connaître…

" Ils sont vraiment d'une discrétion sans pareille : au Maroc on aurait une bande de mendigots qui nous rendraient la marche insupportable. Ils n'ont pas eu le temps ni l'occasion d'être pervertis par les touristes ".

Remarqua Noëlle. À ce moment, un bambin en guenilles vint prendre la main de Louise et trottiner à côté d'elle ; la jeune infirmière se sentit fondre de douceur.

" Et voilà c'est parti ; ça commence comme cela "

Nota agressivement Noëlle qui donna le signal du retour.

Louise fut très mortifiée et elle nota que Michel n'était pas venu la soutenir en cette affaire.

À la baraque, leur baraque, une surprise les attendait. René avait démonté les cloisons de deux pièces pour obtenir une salle d'attente de bonne dimension : cela changeait radicalement l'aspect de l'entrée, la circulation et la répartition des pièces. Le jeune homme, sans mot dire, entraîna l'infirmière dans la salle de soin : un des deux lavabos de la salle d'eau avait comme par miracle migré de l'autre coté de la cloison et transformait la pièce, la rendant fonctionnelle.

" Oh ! Formidable ! Mais comment as - tu fais ! C'est miraculeux ! "

Cette exclamation spontanée fit puissamment rougir le " logisticien "… Et les deux aînés échangèrent un rapide coup d'œil. De ce coté là aussi il y aura des surprises…

Ils eurent de la visite. L'ancien de la coloniale apprécia fort les aménagements et il exprima à René une admiration non feinte sur ses qualités de bricoleur. Son nom était Sissouk, du moins très probablement car il y eut pas mal d'incompréhensions mutuelles à ce sujet. Sissouk était peut - être son prénom et Louise tenait pour cette hypothèse : elle avait aussi entendu le maire l'appeler " Vomchamprang " ou quelque chose comme cela.

Il confia sous le sceau du secret qu'il avait été cinq ans en camp de rééducation à cause de ses services dans l'armée française et que ce n'était que récemment qu'il était redevenu " persona grata " auprès du maire, " homme de la jungle " et les Français comprirent à cette occasion que cette locution désignait les gens qui avaient " résisté " dans le maquis. Elle devait aussi s'entendre au figuré comme le signifia Sissouk en montrant par gestes que le cerveau du magistrat communal n'était guère plus gros, selon lui, qu'un minable petit pois.

Sissouk expliqua aussi à Michel que, dans le temps..., du temps des Français il y avait eu un médecin " trois galons " à Vim Phu - il montra la direction de l'Est - et d'évidence, cette présence avait laissé des regrets tenus bien secrets.
Il annonça que dans cette localité il y avait une équipe comme la leur qui travaillait depuis un certain temps.


La nouvelle causa quelque émotion : " Comme Robinson Crusoe quand il apprend qu'il a des voisins sur son île " (Noëlle.) " Ils auraient pu nous prévenir " (Michel). " On va pouvoir échanger (Louise). " Comment sont - ils installaient ? " ( René).

Sans qu'un rapport de cause à effet se soit établi, ils se mirent à discuter de l'organisation de leur travail et des voies et moyens de prendre contact avec la population. Il fut décidé d'aller voir le maire et Louise suggéra les une visite aux instituteurs. Noëlle s'interrogea sur une liaison avec les bonzes, personnages dont elle avait lu l'influence considérable qu'ils exerçaient et continuaient d'exercer sur la population :

" Marchais a dit qu'une des rares choses intelligentes du régime avait été de déclarer urbi et orbi que le bouddhisme n'était pas contre - révolutionnaire "

Toutes ces perspectives leur échauffèrent l'esprit et, tels Perrette et son pot au lait, ils se virent à la tête d'une organisation sanitaire couvrant le champ immense de la Santé, soins et prévention mélangés.

Louise serait en charge des petits soins et de l'éducation sanitaire. Noëlle ferait les consultations, mais elle insista à nouveau sur le fait que, jamais, au grand jamais, elle ne s'occuperait de ce qui touchait de près ou de loin à la maternité.

Accompagnés de leur interprète, très fier de ce rôle, ils partirent à la recherche du maire pour le consulter sur les prises de contact avec la population. Il n'y avait pas de mairie et l'homme devait être aux champs. Le maire était effectivement dans une plantation d'arbres inconnus. Il écouta poliment, la mimique évasive et sa réponse fut économique.

" Vous faire comme vous voulez : lui s'en foutre ! "

Ce fut ainsi que Sissouk traduisit la réponse. :


Ainsi couvert, il accompagna Louise à l'école, une minuscule paillote où une jeune institutrice tentait de faire garder une immobilité absolue à une cinquantaine d'enfants. Les deux jeunes filles étaient à peu près du même âge et les regards qu'elles échangeaient étaient empreints de sympathie.

Par contre la Laotienne sembla avoir quelques difficultés à comprendre ce que l'on attendait d'elle. La prolixité de Sissouk ne devait pas être synonyme d'une clarté limpide : elle hocha la tête dubitativement à plusieurs reprises tout en accentuant ses sourires en direction de Louise.

" S'entendre ne va pas être facile : elle ne comprend pas ce qu'on veut mais tient à montrer qu'elle est amicale "

Pensa cette dernière.

C'est à la même conclusion que Noëlle était arrivée dans la démarche qu'elle avait entrepris auprès des bonzes : accompagnée de René comme garde du corps (?) elle était retournée au monastère pour exposer ses idées de coopération et sa visite avait déclenché des mouvements divers difficilement interprétables.

Un vieux bonze au visage merveilleusement ridé et aux yeux malicieux lui adressa quelques mots en français - ravissement ! - mais Noëlle comprit vite... qu'il ne comprenait pas ce qu'elle lui disait. Ils revinrent au bercail assez désemparés.

Michel avait récupéré du papier et avait entrepris de rédiger des affichettes indiquant les heures et jours de consultation et il se proposait de les faire traduire à Sissouk. En riant René lui annonça que le brave tirailleur ne savait pas écrire - tout juste son nom ! Michel eut peine à s'extraire un mince sourire...

Ces diverses activités eurent le bénéfice de les occuper un bon moment et c'est de très bonne humeur qu'ils gagnèrent à la nuit tombée leur gargote habituelle. Le repas fut animé et gai, plein des projets de chacun et pour la première fois l'équipe se sentit soudée dans un même effort.

Michel annonça, sur un mode peut - être très légèrement condescendant, qu'il avait décidé que, vu les prix, on pourrait dîner tous les soirs " au restaurant " sous réserve que les deux aides ménagères fassent le repas de midi.

" C'est Byzance "

Ricana Noëlle avec un rien d'ostentation. Ces deux-là songea Louise, il va falloir les surveiller comme le lait sur le feu.

Le court trajet de retour à la baraque permit à René de faire remarquer à quelle vitesse surprenante l'obscurité tombait. Ils furent heureux des progrès réalisés depuis la veille ; chaque pièce avait un point d'éclairage, certes modeste.

" On allait pouvoir lire au lit " (Noëlle)

Et aussi

" Prendre une douche" (Louise)

Mais à vingt heures alors qu'ils étaient encore en train de discuter de tout et de rien dans la salle d'attente, la lumière s'éteignit : René ouvrit la porte et constata que le village et surtout leur " café - restaurant - cantine " était lui - aussi dans l'obscurité. Il alla aux renseignements, faisant bien attention de ne pas trébucher sur le parcours et cru bien comprendre que l' électricité était sujette à de fréquents arrêts : en tout cas les gens du restau ne semblaient pas surpris et avaient déjà sorti leur matériel de couchage.

" Ils dorment tous dans la salle à manger ; je pense que la panne est générale et que ça doit être fréquent "

À neuf heures les quatre volontaires de SOS - Monde étaient au lit et chacun se repassait le film de la journée.


Sa petite voix intérieure - que Louise avait forte et claire - lui fit remarquer qu'elle n'avait pas beaucoup apprécié, enfin pas trop, que Noëlle mobilise le logisticien pour ses manœuvres d'approche des Bonzes. C'est vrai qu'"il " est drôlement sympa... mais gardons nous de rêver....

Michel songea qu'il n'avait que faire de l'agressivité de cette pimbêche de docteur, d'elle et de toutes les bonnes femmes : avec elles on n'a que des ennuis : je deviens misogyne, ma parole, conclut - il.

Noëlle n'était pas très satisfaite d'elle : je devrais m'imposer comme leader plus nettement, prendre plus de décisions. Ainsi il faut que les consultations soient organisées sous ma responsabilité. Enfin la petite Louise n'est pas de taille à s'opposer et je saurai bien dompter le gestionnaire...

René dormait...

***

Le lendemain au petit matin les envoyés de SOS - Monde étaient prêts au travail. Sortir de la baraque au petit jour était un plaisir que chacun s'offrait à tour de rôle. Michel s'étonnait toujours de la tiédeur de l'air : pour moi, pensait - il le matin il doit toujours faire frais. René partait seul pour son jogging ayant renoncé à y entraîner des adeptes. Il en revenait le maillot trempé, noir de sueur mais satisfait.

" Les gens ne te font pas de remarques de te voir courir ainsi de bon matin ? "

Demanda Michel et cela surprit René qui ne trouva rien de bien original à répondre, si ce n'est qu'ils devaient bien savoir ce qu'était le jogging, ce qui fit hausser les épaules à l'administrateur et que, vu la chaleur, il fallait mieux courir le matin tôt.

Tout est simple aux simples, pensa - t - il.

Michel déballa les caisses et Louise rangea les trésors ainsi étalés dans " sa " salle de soin. Noëlle jeta un œil sur les quelques manuels de médecine tropicale que Paris avait glissé dans le matériel et son ignorance lui paru grandiose et encyclopédique : cela augure mal de mes prestations, pensa - t - elle ; être ainsi isolé n'est pas évident : pourvu qu'il ne se passe rien conclut - elle... Cette seule perspective lui gâchait un peu le charme réel de Champassak, charme auquel elle avait, à sa propre surprise, succombé dès les premiers jours.

René avait disparu à l'arrière de la baraque d'où provenaient des bruits sourds, témoins de son activité.

A neuf heures un vacarme extérieur fit sortir tout le monde sur le seuil du dispensaire : l'école tout entière était alignée devant la porte principale : les bambins se bousculaient dans un calme relatif qui eu enchanté les instituteurs de Seine - Saint Denis.

" Mais qu'est ce que c'est que ce cirque ? Est - ce toi qui les a convoqués ? "

Demande Noëlle attirée par le bruit. Louise reconnu l'institutrice rencontrée la veille qui lui souriait timidement à la tête de cette cohorte.

" On a dû mal se comprendre : je ne lui avais pas dit de venir avec les mômes. C'est fait, c'est fait : je vais leur faire une fiche et un petit bilan. "

Murmura Louise

Et elle alla embrasser la jeune Laotienne toute rougissante. Les enfants s'assirent par terre en rang, enfin approximativement en rang et Louise alla mettre en état la salle de soin pour recevoir ce petit monde : ce peut - être le début de notre implantation dans le pays, pensa - t elle en s'activant.

C'est à la même conclusion que Noëlle était arrivée après s'être prudemment retirée, dans un premier mouvement, en son bureau. Elle proposa à l'infirmière de recevoir les enfants en examen après l'établissement de la fiche.

Une fiche : c'est vite dit ! La rédaction de celle - ci s'avéra plus difficile que prévu. Il fallait adapter phonétiquement les noms Laotiens - noms ou prénoms on n'en savait rien - à un français approximatif.

" Sissouk "

Disait l'institutrice

" Mais on en déjà trois des Sissouks "

" Sissouk Choulamany, pas Sissouk Vanchomprang"

Tentait de préciser la jeune femme Lao et Louise, un peu perdue, d'essayer de transcrire au plus près le patronyme évoqué, le même que celui du tirailleur, nota Michel.

La matinée passa vite et à midi la classe avait été dûment examinée et fichée.

" Ils sont petits mais en assez bon état : ils n' ont pas de signes de carence, de signes apparents en tout cas "

Estima Noëlle au repas de midi. Celui - ci se prenait en plein air devant la baraque - décidément le nom de leur logis - lieu de travail serait " la baraque " et le plat unique que les ménagères avaient préparé se laissait agréablement manger.

" La race est petite "

Laissa échapper Michel.

" Ils ont des dents admirables "

Répliqua Louise, comme si toute critique des Lao était une insulte.


" Attends je ne disais pas cela en mauvaise part "

Fit remarquer doucement Michel

" C'est en plus vrai "

Intervint Noëlle

" Un peu comme les poulets de Vientiane "

Dit René, ce qui fit rire tout le monde.

" Ils sont petits mais pas chétifs "

Tint à préciser Louise pour conclure la discussion.

Michel et René notèrent bien qu'il conviendrait à l'avenir d'être prudent et circonspect dans leurs appréciations des locaux.

" Et ils sont drôlement sages "

Conclut René, chaud partisan, lui aussi, de la bonne entente.

L'après-midi fut calme et vers les seize heures le fidèle Sissouk - un de plus, pensa Michel in peto - qu'on avait pas encore vu de la journée arriva tout fier en compagnie d'un Laotien assez âgé et qui ne respirait pas la santé.

" Il est malade ; lui avoir été soigné par les Français, dans le temps ! "

Précisa - t - il sobrement.

Noëlle et Louise se consultèrent du regard et le firent entrer directement dans le " cabinet médical " comme le proclamait une pancarte toute neuve, fruit des œuvres calligraphiques de Michel.


L'homme, sans être squelettique, n'avait guère de chair sur les os. Noëlle, prise de court et l'interrogatoire se révélant difficile, le palpa d'abord succinctement sans grande méthode, puis elle examina ses aires ganglionnaires, retrouvant peu à peu des réflexes qu'elle ne croyait même plus posséder. Enhardie, elle commença un examen enfin digne de ce nom.

Les enseignements qu'elle en tira ne la menaient hélas nulle part, en tout cas pas vers un diagnostic précis, faute de savoir s'orienter. Elle cru percevoir que Louise s'en rendait nettement compte alors que l'attitude de l'infirmière le laissait rien percer de ses sentiments, si tant est qu'elle en avait.

" Il y a quelque chose, mais je ne vois pas quoi ; il n'a pas la même physionomie que les autres ; c'est curieux ! "

Fit - elle remarquer à Louise et elle sentit une grosseur sur la tempe gauche : un déclic se fit :

" Un faciès léonin : c'est ça : il a un faciès léonin : je pense qu'il a peut - être une... lèpre "

Souffla - t - elle à l'infirmière. Celle - ci ne fit aucun commentairemais, sans avoir l'air de rien, prépara une compresse avec de l'alcool à 90 °.

" Il faudra revenir demain pour des examens complémentaires "

Expliqua lentement Noëlle dissimulant de son mieux la hâte qu'elle avait de se désinfecter.

Ce qu'elle fit avec un grand soin après la sortie des Laotiens

" Je me demande s'il y a des lèpres ici au Laos ; j'aurai dû demander à Marchais ou il aurait pu me prévenir ! Merde ! Je n'ai aucune idée du traitement pas plus que des méthodes diagnostiques ou préventives. "

" J'ai lu quelque part que ce n était pas très contagieux "

Hasarda Louise qui n'osa pas citer ses sources : un vague papier qu'on distribuait à l'entrée de l'église de son village en échange d'une minime obole lorsque les enfants du cathé faisaient la quête, très fiers, pour la " Journée des Lépreux " de Raoul Follereau. Mystères de la mémoire, pensa Louise.

L'affaire troubla le groupe de SOS - Monde et occupa la lente période qui précédait le coucher du soleil. Ils avaient pris l'habitude de se retrouver à cette heure douce de la journée - souvenir de leurs premiers contacts avec le Laos devant le Mékong.

Michel ne fit aucun commentaire, conscient qu'il était du problème délicat qui se posait. Il pensa que Noëlle aurait pu se renseigner ; c'est d'ailleurs ce qu'elle faisait à la hâte compulsant fébrilement les bouquins trouvés dans les caisses : tout y était, des affections que la métropolitaine n'avait jamais entendu parler mais pas la lèpre... bien entendu !

" On pourra demander à l' équipe de Vim Phu, le bled où l'on nous a dit qu'il y avait une équipe ; c'est vrai, on devrait aller leur rendre visite "

" Cela fait partie des mondanités de la coloniale ; encore faudrait - il avoie le numéro de téléphone de la compagnie de taxis du secteur ! "

Ricana Michel qui dans le même mouvement se reprocha cette remarque aigre - douce. Je deviens insupportable : je ne trouve pas bien ma place, mais ça n'excuse rien : il faut que je me surveille, pensa - t - il par de vers lui, en faisant un sourire aimable à l'auteur de cette réflexion.

Après le dîner, la nuit les ramena à " la baraque " et chacun se prépara à la panne de lumière. Celle - ci ne tarda pas, mais, oh ! divine surprise, le courant revint aussitôt.

" C'est curieux ! il n'y a pas de lumière au bistrot"

Nota Louise et René éclata d'un rire joyeux


" On est les privilégiés du bled !. j'ai installé le groupe électrogène ce matin, mais faudra économiser l'essence ; je ne sais pas ce que ça suce ces machines - là "

" Tu as toutes les qualités y compris le sens de l'économie et des priorités "

Dit aimablement Michel à qui Louise fit en retour un beau sourire !


*****

La vie commença à Champassak pour l'équipe de S O S - Monde.

Sans se donner de mot d'ordre- qui eut été mal toléré, d'où qu'il vienne - les Français avaient adopté un rythme de travail plus proche du Laos que des centres urbains européens.

Après s'être succédés sans hâte à la salle d'eau, ils allaient prendre ensemble le petit-déjeuner au café - restaurant dont ils étaient à cette heure les seuls clients. Michel tentait de leur faire un résumé succinct des nouvelles " du monde " qui ne suscitait guère de passion : il était le seul à avoir un petit poste de radio que personne ne lui compétitait.

Louise établissait son plan de visite : elle avait divisé le pays en zones qu'elle parcourait avec un grand panier ; elle s'arrêtait dans presque chaque " maison ", jouait un instant avec les enfants où les bébés, et, par gestes, tentait de faire comprendre son rôle. Le moindre bobo ne lui échappait pas et elle donnait, toujours par gestes, rendez - vous à la baraque.

Elle finissait sa tournée matinale par l'école où la jeune institutrice l'accueillait par les saluts traditionnels ; les enfants avaient récréation - grande joie - et Louise s'essayait à quelques mots de laotien déclenchant l'hilarité de sa nouvelle amie.


L'après-midi Louise attendait au dispensaire les consultants qu'elle avait pensés avoir recruté le matin ; certains ne venaient pas, soit n'ayant pas compris l'invitation, soit ayant refusé de s'y rendre.

Il arrivait qu'elle ait jusqu'à trois consultants - des jeunes enfants le plus souvent - et René la complimentait en riant sur l'accroissement de sa clientèle :

" C'est une affaire qui marche ! "

Ses affaires à lui prospéraient exponentiellement - s'il eût connu ce terme. Il avait astucieusement commencé par l'électricité du restaurant, refaisant tous les branchements, réinstallant les prises et cette vitrine valait toutes les publicités. On le sollicitait de toute part et Sissouk s'était chargé de centraliser et de hiérarchiser les demandes ultérieures : il tenait à ce rôle -clef d'impresario et le jouait avec une grande efficacité.

L'ex - tirailleur et lui formaient une paire inséparable et, à plusieurs reprises, une Madame Sissouk fit irruption devant la baraque pour rappeler son homme à ses devoirs agricoles, aux rires de la ribambelle d'enfants qui, à toute heure, stationnait devant le dispensaire en quête de nouveautés.

Michel n' avait pas grand-chose à faire, mais lui non plus ne pouvait le faire seul. Il avait installé sous un bougainvilliers dont l' ampleur laissait loin derrière lui ceux de son enfance une petite table et il mettait dans son ordinateur portable en forme de statistiques le contenu de leurs richesses en tableaux colorés et en colonnes les " consultants " et les autres actions sanitaires.

Ce faisant il avait attiré autour de lui un groupe de jeunes du village qui, fascinés, regardaient l'écran, les feuilles de calcul, les colonnes des statistiques avec des yeux émerveillés.

Le garçon qui les avait accueillis le premier jour, Pham, un jeune homme en fait, s'était attribué un véritable droit d'antériorité et c'était toujours au plus près de Michel qu'il élisait position.

Noëlle considérait ces activités avec un certain détachement. Elle se disait intérieurement " qu'elle ne sentait pas la situation ". Elle ne se voyait pas allant débusquer les éventuels malades à domicile, même si elle pensait que, dans son rôle, Louise avait raison d'aller chez les habitants pour leur apprendre ou tenter de leur inculquer des principes d'hygiène.

C'était donc Noëlle la plus désœuvrée. L'état sanitaire de la population ne devait pas être mauvais car on ne lui présentait qu' un ou deux malades par jour au maximum ; et encore des cas sans grand intérêt, de vieilles histoires chronifiées pour lesquelles elle ne pouvait pas faire grand chose, Grâce au ciel pensait - elle intérieurement.

Elle lisait donc dans sa chambre attendant un éventuel consultant. Il s'en présentait parfois un ou deux, mais pas tous les jours. Sissouk était requis pour l'interrogatoire qu'il menait à sa guise, Noëlle avait fini par s'en rendre compte.

Les plaintes ou doléances n'étaient déjà pas très précises ni bien formulées c'est le sentiment qu'elle avait confusément ; mais passé par le canal Sissoukien cela donnait des approximations tellement vagues qu'il était bien difficile de s'orienter.

Or la médecine vétérinaire ne disait rien à Noëlle plus douée pour le contact oral : elle aimait parler ou mieux faire parler. Sa frustration était donc grande et son humeur s'en ressentait. Elle tenait dans un petit carnet un décompte minutieux des jours passés et des jours à passer encore à Champassak et les deux colonnes étaient encore bien loin de s'équilibrer.

Pourtant elle aimait ce pays, son calme, le caractère paisible de ses habitants et le seul bon moment de sa journée était celui où elle allait rendre visite aux bonzes. Elle avait pris tout naturellement cette habitude. Elle échappait ainsi à la proximité perpétuelle de la baraque, proximité qui ne semblait pas gêner les autres. Le plus vieux d'entreles moines la faisait asseoir sur un banc à coté de lui et ils passaient un certain temps à converser par gestes et onomatopées.


Et curieusement Noëlle ressortait de ces visites, apaisée, et elle tolérait alors plus longtemps les histoires d'électricité de René qui formaient la base essentielle de son stock de conversation. Elle acceptait aussi mieux de voir l'admiration naïve avec laquelle Louise écoutait son oracle et veillait sur lui avec un soin jaloux.

Elle n'avait cependant pas pu résister à demander au jeune homme de l'accompagner quelques fois lors de son jogging matinal. Il est vrai que Noëlle était sensible à la nature dans le velouté du matin et qu'elle avait toujours eu grand soin d'entretenir son corps. N'empêche qu'elle savait parfaitement que l'infirmière en serait blessée, elle qui, boulotte et d'origine populaire, n'avait pas ce genre de soucis ni d'intérêts.

Michel avait, bien entendu, noté la crispation de Louise, mais s'était abstenu de mettre de l'huile sur le feu. Chacun sentait qu'un code informulé voulait qu'il n'y ait pas d'activités fractionnistes et tentait de s'y conformer.

Les jours coulaient marqués de menus faits : à la cantine, le poulet avait été remplacé par du buffle et cela avait été l'objet d'une certaine satisfaction :

" Le poulet c'est bien, c'est très bien, mais le changement c'est très bien aussi "

Avait déclaré René, ravi avant de découper le morceau de viande, hélas bouilli.

" Ça n'est pas le " Cochon d'Or" à la Villette, mais c'est un effort dans le bon sens et je suis curieux de manger du buffle ; cela me permettra de briller à bon compte dans les dîners parisiens : " lorsque je dégustais du buffle dans les rizières laotiennes... "

Reprit Michel, avant d'avoir goûté la viande d'un rouge sombre ; les efforts évidents de René qui s'escrimait sur cette malheureuse bête auraient dû l'alerter. Même - et surtout bouillie - la dureté des fibres était telle que cela découragea vite les appétits.

" On a intérêt à mâcher sérieusement "

Nota mélancoliquement René, pendant que Noëlle, fort délicatement certes, recrachait dans un coin de son assiette le morceau qu'elle avait ingurgité.

Le troisième jour de suite où le buffle fut à l'honneur du repas des Français, l'humeur avait radicalement changé.

" Ils ne comptent quand même pas que nous allons, à nous quatre, finir cette bestiole ; ça pèse au moins dans les mille kilos un buffle "

Souffla René

" Et ils ne doivent pas tuer les jeunes de l'année qui tètent encore leur mère "

Renchérit Michel que Noëlle coupa sèchement.

" Avec l'absence de congélateur, ça va faisander vite par ces températures : moi je décide de m'abstenir et je pense, Cher Administrateur, que tu devrais te saisir de ce problème élémentaire d'hygiène et en parler à qui de droit "

" Merci de ta confiance mais ton autorité médicale parlerait probablement mieux et plus fort pour en faire part, comme tu dis, à qui de droit. L'homme de la jungle sera sûrement sensible à tes arguments, Chère amie "

" En tout cas on ne risque pas la maladie de la vache folle"

Plaça Louise qui, à son habitude, tentait de dédramatiser l'atmosphère ;

" Le Creusfeld Jacob peut - être pas mais une vacherie intestinale sûrement ; et puis arrête de vouloir toujours tout gommer pour ne fâcher personne ! c'est irritant à la fin !"


Louise rougit et resta sans réplique, non sans jeter un regard vers René pour que celui - ci ne s'en mêle pas

Chacun à sa manière vivait dans cette petite communauté avec le souci de ne pas se heurter aux autres. Mais les traits de caractère, les stéréotypes culturels, leur répétitivité surtout ne pouvaient s'effacer et venaient heurter sans intention tel ou telle.

Michel était allergique à l'optimisme foncier de René : son triomphal " Et voilà le travail " ponctuant toute activité lui donnait pensait - il, des crampes d'estomac. Il n'arrivait pas à avoir avec lui de véritables conversations : les sujets manquaient ou tournaient courts ; pourtant il reconnaissait les qualités du jeune homme, sa franchise, sa gentillesse, voire sa bonté.

Mais ils n'avaient rien à se dire et s'en était gênant. Même le sport ne les réunissait pas. À part le vélo, René ne portait pas d'intérêt à un sport quelconque alors que Michel était incollable sur le tennis, le volley et, accessoirement, sur le foot.

Il en allait de même avec l'infirmière ; il appréciait les efforts de celle - ci pour faire preuve d 'une égalité d'humeur agréable; peut - être sentait - on un tout petit peu trop le désir de tout aplanir comme Noëlle l' avait épinglé au dîner du buffle.

" Elle n'est pas bête et se débrouille bien dans son boulot sans faire de vagues, avec habileté, elle a su se concilier les gens du pays et heureusement que nous l'avons car cette Chère Noëlle ne croule pas sous la clientèle. C'est sur elle que repose pour le moment l'activité principale de notre mission. Mais il est difficile de la faire s'exprimer sur quelque sujet que ce soit ; cela doit résulter d'un vrai blocage chez elle ! "

Pensait Michel qui était resté sans voix le jour où Louise avait demandé tout uniment qui était ce Gide dont le nom était venu par grand hasard dans le fil de la conversation.


La conversation était en effet un exercice périlleux : elle mettait à nu les différences, même en bannissant soigneusement tout sujet qui pouvait fâcher ou déstabiliser. Et cela limitait diablement les propos et Michel, bavard et discutailleur, en était le plus malheureux.

Certes Noëlle était plus cultivée et aimait parler, elle, mais parler signifiait souvent pour elle s'opposer ; toute approche était une joute et il était rare qu'elle soit détendue au point d'accepter une véritable discussion ; cela ne lui était pas spécialement destiné à lui Michel, comme il l'avait cru au commencement ; il l'avait vu se disputer âprement avec René sur les qualités des bois d'ébénisterie, sujet à priori peu conflictuel ; il avait même rit intérieurement en voyant la mine déconfite de Louise qui n'avait pas trouvé l'ouverture adéquate pour faire tomber la pression sur un tel sujet.

Louise vivait dans la hantise du conflit qui eut opposé les membres du groupe. Elle faisait ce qu'elle pouvait - si cela se trouvait - pour désamorcer les piques entre " les chefs ", comme elle disait en son for intérieur.

Mais c'était surtout René qu'elle voulait préserver de toute atteinte et cet excès de protection n'avait pas échappé aux autres.

La méchanceté d'une tante qui avait pour le malheur de sa famille parasitée un long temps le ménage de ses parents l'avait rendu allergique, elle, aux éclats et aux scènes et son idéal était le calme plat... comme son pays natal pensait Michel in petto.

Ces problèmes relationnels ne troublaient pas trop, en apparence, René qui semblait loin de tout malaise métaphysique. Il semblait heureux, bien dans sa peau, croulant sous le travail et couvert d'amis reconnaissants, toujours prêt à rendre service.

Hélas ! Il accompagnant cette disponibilité sans faille et immédiate d'immanquables phrases stéréotypées du genre " c'est comme si c'était fait - et voilà le travail - très utilisé - ou " c'est parti mon Kiki "


Même Louise le tolérait parfois un peu mal et pourtant que ne lui aurait - elle pas pardonné à ce René ! S'il l'avait su cela lui eût ôté un sacré poids ; son assurance n'était qu'un masque et il était en fait sensible au qu'en dira - t - on comme une jeune fille des campagnes du XIX ème siècle.

Entre autres et surtout, comment avancer dans ses affaires avec l'infirmière sans déclencher des réactions des autres, réactions qu'il était presque incapable de prévoir.

Il ne pouvait s'empêcher de redouter la réponse des aînés tant il était évident que se mettre en couple risquait de déstabiliser le groupe. Et il sentait que l'équilibre de l'équipe était d'une rare fragilité.

On ne serait pas les uns sur les autres cela ne poserait pas de problèmes, pensait - il mais dans une baraque comme celle - ci ça lui paraissait pas possible, plus, impensable ; il avait bien espéré que Michel et Noëlle seraient attirés l' un vers l'autre malgré leurs divergences, leur facilitant ainsi à eux, les jeunes le travail... René avait très bien perçu sans trop les comprendre les jeux de pouvoir subtils entre les deux " chefs " et cet espoir s'amenuisait...

Il restait donc sur une réserve qui le désolait, tant Louise lui semblait une femme faite pour lui et il réfléchissait à des moyens compliqués pour déclarer sa flamme sans provoquer de cataclysmes. Enfant de divorcés, il était probable que les déplorables exemples qu'il avait eus sous les yeux l'avaient, plus qu'un autre, sensibilisé à ces problèmes dont il se faisait une montagne. Ah ! la psychologie n'est pas mon fort, se disait - il le soir en s'endormant.

Cependant que, sur sa frêle couche, Louise se désespérait de son coté, de ne constater aucune avance de la part du jeune homme qui répondait si bien aux critères de " l'homme bien " dont elle rêvait depuis son adolescence et dont elle n'était pas sans sentir qu'elle ne lui était pas désagréable.

Elle non plus ne voyait pas de moyens de débloquer la situation : elle n'était pas du genre à se jeter à l'eau la première et elle ne se voyait pas violer l'électricien !

C'est ce à quoi pensait parfois Noëlle quand les soucis de sa petite personne lui en laissaient le loisir : ces deux-là sont faits l'un pour l'autre, mais sont bloqués comme des enfants. À elle aussi les longues soirées laotiennes et leur douceur amoliente paraissaient lentes et étaient fertiles en réflexions, voir en ruminations sur son avenir et les erreurs du passé ; elle en avait eu des amoureux puis des amants, mais son caractère piquant finissait régulièrement par amener des frictions puis des ruptures quasi inévitables avec ses partenaires.

Et ici, à son âge, elle allait être condamné à perdre encore de précieux mois, faute, tout bonnement de ces mêmes partenaires. Michel, le seul homme envisageable, était le type même d'individu qu'elle ne pouvait supporter, de même qu'il ne la supporterait probablement pas non plus très longtemps.

Elle avait passé l'âge de rêver et de croire au prince charmant et elle sentait l'aigreur la menacer et venir encore aggraver ses problèmes relationnels : non, à elle non plus, les débuts de nuits n'étaient pas souriants.

Moyennant quoi les jours se succédaient aux jours, Michel établissait maintenant ses statistiques en semaines sur son portable ce qui lui valait l'admiration naïve des jeunes assistant aux " cours du baobab ", comme le plaisantait Noëlle.

Pham le jeune garçon qui les avait aidé le premier à Champassak était le plus empressé à cette contemplation de l'écran et de ce qui s'y inscrivait. il était très gentil et serviable et Michel surprit tout le groupe en révélant que d 'après ses calculs, authentifiés par Sissouk, le gamin en question avait dix-sept ans.



Une mission humanitaire comme les autres

Une annonce.
Chapitre II Louise.
Chapitre III Michel.
Chapitre IV Noëlle
Chapitre V René.
Chapitre VI À S.O.S. - Monde
Chapitre VII L'embauche
Chapitre VIII Le voyage
Chapitre IX Vientiane
Au Laos
Chapitre XI Jours d'attente
Chapitre XII Pakxe - L'installation
Chapitre XIII Premiers pas à Champassak
Chapitre XIV Le blessé
Chapitre XV Les voisins
Chapitre XVI Amours
Chapitre XVII Des bienfaits du Laos
Chapitre XVIII Noëlle et Pascal
Chapitre XIX Dernières Nouvelles
 


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