Les Pyramides de Gizeh - Le Caire - Egypte
 
           
Les pyramides
Victor Hugo
Cette oeuvre
fait parti d'un ensemble de poèmes évoquant les sept merveilles du monde. Tour à tour, chaque merveille s'exprime à travers un poème, la dernière étant la pyramide de Khéops.
          
 

Et, comme dans un chœur les strophes s'accélèrent,
Toutes ces voix dans l'ombre obscure se mêlèrent.
Les jardins de Bélus répétèrent : — Les jours
Nous versent les rayons, les parfums, les amours ;
Le printemps immortel, c'est nous, nous seuls ; nous sommes
La joie épanouie en roses sur les hommes. —
Le mausolée altier dit : — Je suis la douleur ;
Je suis le marbre, auguste en sa sainte pâleur ;
Cieux ! je suis le grand trône et le grand mausolée ;
Contemplez-moi. Je pleure une larme étoilée.
— La sagesse, c'est moi, dit le phare marin ;
— Je suis la force, dit le colosse d'airain ;
Et l'olympien dit : — Moi, je suis la puissance.
Et le temple d'Éphèse, autel que l'âme encense,
Fronton qu'adore l'art, dit : — Je suis la beauté.
— Et moi, cria Chéops, je suis l'éternité.
Et je vis, à travers le crépuscule humide,
Apparaître la haute et sombre pyramide.

Superposant au fond des espaces béants
Les mille angles confus de ses degrés géants,
Elle se dressait, blême et terrible, étagée
De plus de plis brumeux que l'âpre mer Égée,
Et sur ses flots, jamais par le vent secoués,
Avait au lieu d'esquifs les siècles échoués.
Elle était là, montagne humaine ; et sa stature,
Monstrueuse, donnait du trouble à la nature ;
Son vaste cône d'ombre éclipsait l'horizon ;
Les troupeaux des vapeurs lui laissaient leur toison ;
Le désert sous sa base était comme une table ;
Elle montait aux cieux, escalier redoutable
D'on ne sait quelle entrée étrange de la nuit ;
Son bloc fatal semblait de ténèbres construit ;
Derrière elle, au milieu des palmiers et des sables,
On en voyait surgir deux autres, formidables ;
Mais, comme les coteaux devant le Pélion,
Comme les lionceaux à côté du lion,
Elles restaient en bas, et ces deux pyramides
Semblaient près de Chéops petites et timides ;
Au-dessus de Chéops planaient, allant, venant,
Jetant parfois de l'ombre à tout un continent,
Des aigles effrayants ayant la forme humaine ;
Et des foules sans nom éparses dans la plaine,
Dans de vagues cités dont on voyait les tours,
S'écriaient, chaque fois qu'un de ces noirs vautours
Passait, hérissé, fauve et sanglant, dans la bise :
— Voilà Cyrus ! Voilà Rhamsès ! Voilà Cambyse ! —
Et ces spectres ailés secouaient dans les airs
Des lambeaux flamboyants de lumière et d'éclairs,
Comme si, dans les cieux, faisant à Dieu la guerre,
Ils avaient arraché des haillons au tonnerre.
Chéops les regardait passer sans s'émouvoir.
Un brouillard la cachait tout en la laissant voir ;
L'obscure histoire était sur ses marches gravée ;
Les sphinx dans ses caveaux déposaient leur couvée ;
Les ans fuyaient, les vents soufflaient ; le monument
Méditait, immobile et triste, et, par moment,
Toute l'humanité, comme une fourmilière,
Satrape au sceptre d'or, prêtre au thyrse de lierre,
Rois, peuples, légions, combats, trônes croulants,
Était subitement visible sur ses flancs
Dans quelque déchirure immense des nuées.
Tout flottait sur sa base en ombres dénouées ;
Et Chéops répéta : — Je suis l'éternité.

Ainsi parlent, le soir, dans la molle clarté,
Ces monuments, les sept étonnements de l'homme.
La nuit vient, et s'étend d'Elinunte à Sodome,
Ouvrant son aile où vont s'endormir tour à tour
L'onde avec son rocher, la ville avec sa tour ;
Elle élargit sa brume où le silence pèse ;
Les voix et les rumeurs expirent ; tout s'apaise,
Tout bruit s'éteint, à Rhode, en Élide, au Delta,
Tout cesse.


 
 
 
 


*Victor Hugo : (Besançon 1802 - Paris 1885).
Homme de lettres français, écrivain, auteur dramatique et poète romantique, engagé politiquement.
Il fonda avec ses deux frères une revue monarchiste, le Conservateur littéraire (1819-1821), Il publia en 1822 ses premiers poèmes (Odes et poésies diverses). Son premier oeuvre littéraire théatrale fut (la préface du drame Cromwell, 1827). A la scène, sa première victoire fut (la bataille d' Hernani) (25 février 1830).
Devient académicien en 1841, pair de France en 1845, puis député après 1848.
En 1851 en raison de son hostilité envers Louis Napoléon Bonaparte et après le coup d'État du 2 décembre, il s'exila à Jersey puis à Guernesey pendant 19 ans. Durant cet exile il écrivit le pamphlet Napoléon le Petit (1852) puis (le recueil satirique des Châtiments, 1853 ; les poèmes métaphysiques des Contemplations, 1856 ; l'épopée de la Légende des siècles, 1859) ainsi que ces trois romans phares ( les Misérables, 1862 ; les Travailleurs de la mer, 1866 ; l'Homme qui rit, 1869). Il revint en France dès la proclamation de la république en 1870. Ses funérailles nationales eurent lieu, en 1885, au Panthéon.
Références : Dictionnaire Cordial et Encyclopédie Larousse 1998.

 
 
 
 
Mise en page et publication : Dr Aly Abbara
29 Janvier, 2009
 
 
 
  Recueil de poème et introduction : Madame OUICI Meloucka  
 
 
 

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