" Traité de l'art des accouchements ".
Par Pr. S Tarnier** et Pr. P Budin
Tome 4,
G. Steinheil, Libraire-Editeur
Paris, 1901

Douzième section
Des opérations obstétricales
Chapittre premier

Du forceps

Historique

ARTICLE PREMIER
DÉFINITION

Le forceps est une pince destinée à extraire l'enfant hors des voies génitales, en ménageant autant que possible l'intégrité des parties maternelles et fœtales ; il est constitué par deux branches qu'on introduit séparément et qu'on articule ensemble après les avoir mises en place.

ARTICLE II
HISTORIQUE

L'historique du forceps comprend trois étapes principales :
La première va de la date de l'invention à celle de la première modification importante due à Levret ( de 1600 à 1747) ;
La deuxième période va de Levret à Tarnier (de 1747 à 1877) ; elle est surtout consacrée à l'étude des perfectionnements qui concernent la préhension de la partie fœtale par l'instrument ;
La troisième période s'étend de 1877 jusqu'à nos jours ; elle est principalement marquée par les recherches destinées à diriger les efforts de traction dans le sens le plus favorable : c'est l'oeuvre de Tarnier.

I- L'idée d'extraire le fœtus par les voies naturelles à l'aide de pinces spéciales est fort ancienne, mais pendant très longtemps, pareille opération resta incompatible avec la survie de l'enfant, que l'on considérait comme inévitablement voué à la mort, quand on devait employer des instruments métalliques.
Rueff, en 1554, aurait imaginé un appareil permettant de faire naître un enfant vivant, mais le véritable inventeur du forceps a été Peter Chamberlen l'aîné, né vers 1560 et mort en 1631.
D'après Aveling et Budin, ce médecin était originaire de Paris et signait Chambrelan, nom véritablement français, mais prononcé Chamberlen en langue anglaise, si bien que l'orthographe en fut rapidement altérée.
L'instrument attribué à Peter Chamberlen, l'aîné, avait la forme d'une pince (forceps, en anglais, veut dire pince) dont les mors étaient courbés de manière à s'adapter à la tête fœtale. C'est cette courbure céphalique qui caractérise les mors ou cuillers du forceps primitif.
Mais le véritable trait de génie de Chamberlen fut de séparer complètement les deux branches de la pince pour pouvoir les introduire isolément dans lesvoies génitales et les articuler ensuite. C'est en cela que Chamberlen fut vraiment l'inventeur du forceps; car, ainsi qu'on l'a vu plus haut, l'idée d'ex. traire l'enfant avec des mors métalliques avait germé bien longtemps auparavant.

Les deux branches du forceps primitif comprenaient chacune trois parties :
une extrémité céphalique ou cuiller, qui fut bientôt fenêtrée et dont la courbure sur le plat était destinée à s'appliquer sur la tête du fœtus ; une extrémité manuelle, ou manche, sur laquelle on tirait ; enfin une partie intermédiaire utilisée pour joindre ensemble les deux branches, c'était l'articulation.
A part la courbure céphalique, l'instrument était droit, c'est-à-dire que les cuillers se continuaient en ligne droite avec les manches (fig.20).


Les Chamberlen ne livrèrent pas à la publicité l'invention paternelle ; ils en usaient à l'abri des regards et, en 1670, Hugh Chamberlen senior, neveu de Peter, l'inventeur de l'instrument, vint à Paris dans l'intention de vendre son secret. La mésaventure qu'il eut avec une malade de Mauriceau, la grande autorité parisienne de ce temps, fut retentissante.

« Le 19 août 1670, dit Mauriceau, j'ai vu une petite femme de 38 ans, qui avait le passage tellement étroit et les os qui le fermaient si serrés et proches l'un de l'autre et l'os du croupion si recourbé en dedans, qu'il me fut impossible d'y introduire une main pour l'accoucher.
« Il survint aussitôt un médecin anglais, nommé Chamberlen, qui était alors à Paris et qui, de père en fils, faisait une profession ordinaire des accouchements en Angleterre, dans la ville de Londres, où il a acquis depuis ce temps-là le suprême degré de réputation. Il était venu à Paris dans l'espérance d'y faire fortune, faisant courir le bruit qu'il avait un secret tout particulier pour les accouchements de cette nature.

« Ce médecin, voyant cette femme et ayant appris que je n'avais pas trouvé aucune possibilité de l'accoucher, témoigna être étonné de ce que je n'en avais pas pu venir à bout, moi, qu'il disait et assurait être le plus habile homme de cette profession qui fût à Paris; nonobstant quoi, il promit d'abord de l'accoucher très assurément en moins d'un demi quart d'heure, quelque difficulté qu'il pût y trouver. Il se mit aussitôt en besogne et au lieu d'un demi quart d'heure, il travailla durant plus de trois heures entières sans discontinuer que pour reprendre haleine. Mais ayant épuisé inutilement toutes ses forces aussi bien que toute son industrie, et voyant que la pauvre femme était près d'expirer entre ses mains, il fut contraint d'y renoncer et d'avouer qu'il n'était pas possible d'en venir à bout. Cette pauvre femme mourut avec son enfant dans le ventre, vingt-quatre heures après les extrêmes violences qui lui avaient été faites. »

Cependant l'instrument de Chamberlen fut plus tard divulgué et, dit-on, vendu par moitié : de là le levier.

En 1720, Palfyn fit construire deux mains de fer (fig.21), qu'on introduisait dans les voies génitales à la manière des branches du forceps : mais ces deux pièces restaient parallèles l'une à l'autre au lieu de se croiser ; leur jonction se faisait mal. En vain Heister essaya de remédier à cet inconvénient.
L'instrument croisé primitif prévalut.
Les cuillers de Palfyn, d'Heister, étaient pleines ; Mesnard les fit perforer et ce fut le premier forceps à branches parallèles muni de fenêtres.
Ces instruments primitifs furent bientôt corrigés ; plusieurs de ces modifications furent reprises plus tard, et nous les étudierons après l'importante transformation due à Levret. (Voir page 198.)


Ainsi, à ce moment, il existe déjà deux types distincts, que l'on retrouvera à toutes les époques : un type à branches croisées et un type à branches parallèles.
Les instruments de Chamberlen et de Palfyn représentent dès l'origine ces deux formes qui, dans la période historique que nous étudions, ont pour caractère commun d'être des forceps droits, c'est-à-dire munis d'une seule courbure, la courbure céphalique.
Sans doute si la tête est à la vulve, avec un pareil instrument on la saisit correctement et on tire suivant l'axe du canal génital, représenté ici par l'axe du canal vulvo-vaginal (voir fig. 87, p. 244). Mais pour peu que la tête soit élevée au-dessus du plancher pelvien, et surtout si elle est au détroit supérieur, on la saisit mal et on tire dans une direction vicieuse (voir fig. 88, p. 244).
Levret comprit l'importance de la saillie faite par le périnée et de l'incurvation qu'elle imprime à l'axe pelvien ; il vit combien un instrument droit comme le forceps primitif s'adaptait mal à la ligne courbe, concave en avant, que figure la ligne centrale du bassin ; pour mieux saisir la tête, il contruisit un forceps dont les cuillers et les manches n'étaient plus en ligne droite. A la courbure céphalique de Chamberlen, il ajouta une seconde courbure, dite pelvienne ; et ce fut là une modification capitale (janvier 1747) (fig.22). Smellie, préoccupé de saisir la tête élevée au détroit supérieur ou au-dessus de lui, arriva au même résultat que Levret (1751).
Presque tous les auteurs, même parmi les Anglais, s'accordaient à reconnaît que Levret avait véritablement le premier imaginé le nouveau forceps, quelques années avant la publication du livre de Smellie. Pourtant B. Pugh fut considéré à tort par Mc Clintock comme ayant été le précurseur de Smellie de Levret. En réalité, le forceps à courbure pelvienne a bien été inventé par Levret : les preuves fournies sur ce point par Budin sont irréfutables.
En donnant aux branches la courbure pelvienne, on introduisit dans le manuel opératoire des modifications profondes, conséquences inévitables de la forme nouvelle imprimée à l'instrument. Les branches du forceps de Chamberlen, qui est droit, se plaçaient indifféremment d'un côté ou de l'autre du bassin ; avec la courbure pelvienne, une branche dut être forcément réservée au côté gauche du bassin et l'autre au côté droit : il y eut ainsi une branche gauche et une branche droite. Si on examine l'instrument avec attention, on s'aperçoit vite que, pour s'adapter à la fois à la courbure du bassin et à la convexité de la tête, une branche ne peut être introduite que dans la partie gauche de l'excavation et l'autre dans la partie droite. Chaque branche, par exemple, est munie d'une courbure sur le plat, courbure céphalique, dont la convexité doit être dirigée vers les parois pelviennes, tandis que sa concavité doit se tourner vers le centre de l'excavation ; d'autre part, la courbure pelvienne, courbure sur le bord, donne à la branche une concavité qui s'adapte à la paroi antérieure du petit bassin et une convexité qui, au contraire, est faite pour s'accommoder avec la paroi postérieure (fig.22). Si l'on place la branche gauche à gauche du bassin, et la branche droite à droite, tout est au mieux. Mais si on veut placer la branche gauche dans la partie droite du bassin, on voit bien vite que l'accommodation est mauvaise ; dans ce cas, en effet, si la courbure céphalique est disposée de manière que sa concavité regarde le centre de l'excavation, il se trouve que la courbure pelvienne est sens dessus dessous par rapport à ce qu'elle devrait être (fig.23) ; et si la courbure pelvienne est bien placée par rapport au bassin, c'est alors la courbure céphalique qui dirige sa convexité vers le centre de l'excavation, rendant impossible toute adaptation de la cuiller avec la tête fœtale.


La branche gauche se distingue dans l'instrument de Levret par le pivot qu'elle porte et qui sert à l'articulation : elle porte encore le nom de branche
mâle ou de branche à pivot ; la branche droite est munie d'un trou destiné à recevoir le pivot de la branche gauche ; elle s'appelle aussi branche femelle ou branche à mortaise ; elle doit être ramenée en fin de compte par-dessus la branche gauche pour pouvoir s'articuler avec elle.

L'instrument de Levret a subi de nombreuses modifications dans son ensemble et dans chacune de ses parties principales. On a pu dire que chaque accoucheur avait son forceps particulier, tant sont nombreuses les variétés imaginées.
La longueur totale de l'instrument varie de 30 à 55 ou 60 centimètres environ, c'est-à-dire du simple au double. Parmi les forceps courts, ayant de 30 à 39 centimètres, il faut citer : le forceps droit de Smellie (1753), son second forceps à courbure pelvienne (1754), le premier forceps de Pugh (1754), celui de Hamilton (1817), celui de D. Davis (1837), le forceps de J. Simpson, celui de Barnes, enfin le petit forceps de Pajot.
Les forceps de moyenne longueur (de 40 à 49 centimètres) sont de beaucoup les plus nombreux ; citons entre autres : les deux derniers forceps à courbure pelvienne de Levret (1754), le premier forceps de Brünninghausen (1802), celui de Von Siebold (1802), celui de Nægele (1828), le forceps français de Dubois, de Pajot (fig.24) (Levret modifié qui mesure 45 centimètres de longueur), celui de Stoltz (fig.25), le forceps élastique de Trélat, le forceps de Chassagny, celui de Tarnier, etc., etc.
Enfin, parmi les longs forceps, figurent ceux qui ont plus de 50 centimètres, le premier forceps de Levret, celui de Thenance (1802) (fig.26), celui de Uhthoff (1812) (fig.27), etc.
Les inventeurs de forceps courts ont surtout cherché la légèreté de l'instrument, la facilité du maniement et du transport, arguant de l'inutilité d'avoir de longues branches, surtout quand la partie fœtale est profondément engagée.

Les auteurs qui ont donné plus de longueur à leur instrument ont voulu pénétrer plus haut dans la filière pelvienne et saisir la tête élevée au détroit
supérieur ; mais la longueur du levier a une importance mécanique sur laquelle nous reviendrons. Pour rendre l'instrument plus commode à porter, Pajot imagina de briser les branches (fig.24).
Les trois parties principales du forceps, cuiller, articulation, manche, ont été chacune l'objet de transformations diverses.
Les cuillers, d'abord pleines dans les anciens instruments (Dusée, 1733, Palfyn, etc.), ont été fenêtrées ensuite. Après l'invention de la courbure pelvienne par Levret, quelques accoucheurs ont tenté de revenir aux cuillers pleines (Van de Laar 1er modèle, 1777, Osiander, 1797, Assalini, 1810), mais l'avantage incontestable d'une cuiller large et en même temps allégée par l'ouverture de la fenêtre fut reconnu par tout le monde, tant pour saisir la tête sur une surface plus étendue que pour permettre une adaptation plus
complète entre les mors de la pince et la partie saisie.
La longueur des cuillers varie de 12 à 30 centimètres et au delà. Les cuillers les plus courtes sont celles de Haighton, de Davis, etc. Les cuillers


de moyenne longueur sont les plus fréquentes; on les trouve dans les instruments de Siebold, Nægele, Levret, Pajot, Stoltz, Chassagny, Tarnier, etc.
Les cuillers les plus longues sont, entre autres, celles de Maygrier, Thenance, de Uhthoff (fig. 27).
La largeur des cuillers est réduite au minimum lorsqu'elles ne sont pas fenêtrées. Parmi les instruments moins anciens, il faut citer le forceps parculier de Paul Dubois auquel cet auteur avait donné des cuillers fenêtrées, mais assez étroites pour pouvoir être introduites à travers un orifice cervical incomplètement dilaté : tentative malheureuse qui ne fut pas continuée. Cependant Lusk cite et figure un forceps de J.-E. Taylor, à cuillers étroites, destiné à être appliqué avec une dilatation de 4 centimètres.
Les jumelles qui circonscrivent la fenêtre ont été tantôt rondes, tantôt demi-rondes, le plus souvent plates et polies sur leur deux faces : Smellie et Pugh les entouraient d'un tissu destiné à amortir les pressions.
Leur union à l'extrémité libre de la cuiller est plus ou moins courbée en dedans, suivant les forceps; quelques accoucheurs, ayant justement observé la saillie blessante de cette extrémité, l'ont redressée en dehors ou émoussée la lime (Mesnard, Rathlaw II et Poullet, dans son forceps à branches parallèles (fig. 44).
La forme des cuillers est très importante à étudier. La courbure céphalique a beaucoup varié. La difficulté était d'adapter un instrument unique à la série variée des têtes fœtales de dimensions diverses. Dans les instruments anciens surtout (types Chamberlen, Haigbton), l'ellipse que forment les deux cuillers du forceps articulé commence, dès la jonction des branches, par l'écartement brusque et rapide de ces cuillers. De là une vaste ellipse qui ne prend point d'appui sur la tête que par l'extrémité libre des cuillers, et qui, d'autre part menace la vulve par l'ampliation excessive qu'elle lui impose.
Le plus souvent (type Levret, etc.), l'ellipse destinée à contenir la tête commence, au voisinage de l'articulation, par un angle très aigu qui se confond plus loin avec la cavité de l'ellipse. Ainsi les déchirures du périnée sont moins à craindre (voir fig. 25, 26, etc.).
Mais il y a là encore un inconvénient : c'est que la courbure de la cuiller commence plus près de son extrémité libre; en d'autres termes, c'est qu'elle es d'un rayon plus court, d'une concavité plus prononcée par conséquent. Il en résulte que l'ellipse a tendance à prendre appui sur la tête par quatre points seulement, les deux extrémités libres des cuillers, et deux autres points plus ou moins voisins de l'articulation (fig. 28), les régions moyennes de l'ellipse ne venant pas en contact intime avec la tête. De là, si l'instrument ne glisse pas, une tendance au raccourcissement de la tête dans le sens vertical, ou tout au moins un obstacle à son allongement dans ce sens (Chassagny).
La courbure céphalique à petit rayon a donc des inconvénients ; nous y reviendrons plus tard. Pour y remédier, on a voulu lui donner un rayon plus long, de manière à atténuer autant que possible la concavité de l'ellipse. C'est ce que Davis, Blundell, et plus récemment Simpson (fig. 29), ont essayé de réaliser, en construisant des branches qui s'écartent brusquement à partir de


l'articulation, puis se coudent à angle droit, pour monter parallèlement jusqu'à la partie fenêtrée des cuillers. L'allongement vertical de la tête serait ainsi rendu possible, non pas, comme on le dit trop souvent, en laissant au voisinage de l'articulation un espace libre dont le diamètre vertical de la tête peut profiter, mais réellement en atténuant la courbure des cuillers sans pourtant faire commencer leur ellipse au point de jonction même, comme dans le forceps de Chamberlen. (fig. 20)
Les forceps antérieurs à Levret étaient droits, nous l'avons vu, c'est-à-dire que l'axe de leurs cuillers était en ligne droite avec l'axe des manches ; leur unique courbure était la courbure céphalique. Avec Levret, cette disposition change : l'axe des cuillers cesse d'être dans la direction des manches ; c'est la courbure pelvienne, qui, suivant son degré, selon qu'elle est d'un rayon plus court ou qu'elle commence plus tôt, élève plus ou moins l'extrémité des cuillers au-dessus du plan sur lequel reposent les manches (fig.30). Dans le forceps français, cette hauteur est de 8 centimètres ; elle est de 94 millimètres dans l'instrument de Brünninghausen modifié par Nægele, de 10 centimètres dans le forceps de Chassagny, etc.
Il nous reste à signaler certaines formes très spéciales données aux cuillers :
c'est le forceps à trois branches de Leake (1774) ; ce sont encore les forceps à cuillers asymétriques, tels que le premier modèle de Davis, l'instrument d'Erpenbeck, celui de Dugès. Dans le même ordre d'idées, les forceps d'Uytterhoven, de Baumers, de Sloan (fig.31), sont destinés à saisir la tête au détroit supérieur, suivant le diamètre antéro-postérieur du bassin. Tout récemment (1895) le Dr Pénoyée (fig.32) imagina un instrument pour le même usage.
En 1895 également, le professeur Farabeuf publiait un mensurateur-levier-préhenseur qui saisit aussi la tête d'avant en arrière, c'est-à-dire suivant le diamètre antéro-postérieur du bassin. (Voir art. Levier, p. 318.)
Comme particularité d'un autre ordre, Trélat, en 1866, voulut donner aux cuillers une élasticité assez prononcée pour qu'elles pussent se mouler sur la forme de la tête ; cet instrument a d'ailleurs à peu près l'aspect du forceps ordinaire.
Enfin, on a donné à la partie inférieure des cuillers une incurvation spéciale, de telle façon qu'à ce niveau une sorte de courbure périnéale se trouverait constituée ; mais comme cette disposition a surtout en vue la direction des efforts de traction, nous l'étudierons plus loin.

L'articulation des branches a été réalisée de diverses manières. « Dans le forceps de Levret, la branche gauche portait un pivot qui devait pénétrer dans une mortaise longitudinale, percée au centre même de la branche femelle : pour assujettir les deux branches l'une contre l'autre, le pivot était ensuite tourné en travers. Dans le forceps de Siebold (fig. 33) la motaise, au lieu d'être percée au centre de la branche droite, est creusée sur son côté, et l'articulation se fait simplement, en rapprochant les deux branches jusqu'à ce que le pivot entre à mi-fer dans la mortaise à fraisure, où on le fixe en le faisant descendre comme une vis qui entrerait dans un écrou. Ce mode d'articulation est celui qu'on trouve le plus habituellement aujourd'hui dans les forceps français. «L'articulation du forceps de Brünninghausen se rapproche de la précédente, mais le pivot y est remplacé par un simple clou à tête large qui entre dans une mortaise latérale, où il se trouve assez solidement fixé quand la main presse sur les deux manches pour les rapprocher. Le forceps de Nægele est construit sur ce principe » (Tarnier). Les forceps anglais (Smellie, Davis, Simpson, Barnes) ont une articulation par emboîtement : la branche gauche présente une sorte d'encoche, des fourche, dans laquelle est reçue la partie articulaire de la branche droite (voir fig. 29, 31).
Dans tous les instruments qui précèdent, l'articulation n'est possible qu'à la condition que la branche droite soit ramenée en définitive par-dessus la branche gauche, de manière que la mortaise soit au-dessus du pivot. Or, certaines applications de forceps amènent au contraire la branche gauche au-dessus de la droite, et la jonction n'est alors possible qu'au prix d'un décroisement (voir Manuel opératoire). Pour éviter cette difficulté, Tarsitani (1843) a imaginé un pivot qui traverse de part en part la branche mâle, de telle sorte que la branche femelle peut aussi bien être placée dessous que dessus (fig.34).


Tout récemment, Loviot, pour remédier aux inconvénients du décroisement, fit construire deux forceps semblables mais inverses, l'un pareil au forceps ordinaire de Tarnier, avec la branche gauche au-dessous de la droite, tandis que l'autre en diffère en ce que la branche droite porte le pivot et se place au-dessous de la gauche, devenue ainsi branche à mortaise.
Une autre difficulté de l'articulation des deux branches du forceps vient de leur défaut de parallélisme, de leur asymétrie après l'introduction des cuillers. De là est venue l'idée des forceps asymétriques qui peuvent s'articuler quel que soit le défaut de parallélisme des deux branches de l'instrument.
Parmi les forceps asymétriques, nous citerons ceux de Mattei et de Carof. Le forceps de Mattei (fig.35) se compose de deux branches de forme arrondie entre les cuillers et les manches ; l'articulation se fait au moyen d'une espèce d'étau percé de deux trous, dans lesquels glisse chacune des branches ; chacune d'elles peut donc être introduite plus ou moins profondément et s'incliner dans tous les sens. Une vis de pression fixe chaque branche dans la position qu'elle occupe.
« Dans le forceps de Carof (fig.36), chaque branche porte au-dessus de l'articulation une espèce de manchon dans lequel la cuiller peut tourner de sorte que la convexité de cette cuiller peut être dirigée latéralement en arrière ou en avant, suivant le cas » (Tarnier).

« Les manches des forceps sont en métal (Levret), ou en bois (Smellie). Les manches métalliques sont souvent recourbés en crochets à leurs extrémités, crochets qui sont tantôt simples et tantôt munis d'une pointe cachée par une olive et destinée à servir de perforateur. Le forceps de Campbell peut se raccourcir ou s'allonger à volonté par un système de glissement et d'emboîtement ménagé dans les manches. Une vis de pression arrête le glissement au point voulu » (Tarnier).
Brulatour (1817), pour rendre la prise plus solide, retient et serre les poignées de son forceps au moyen d'un lacs passé dans une ouverture ménagée à cet effet, et même d'une vis de pression. Près de l'extrémité des manches, existe une échelle de proportion permettant de connaître exactement le degré d'écartement des cuillers (fig.37).
« Le forceps de Levret, en saisissant la tête du fœtus, la comprime ; que les efforts de l'accoucheur soient très énergiques, qu'il serre trop fortement les manches de l'instrument et cette compression deviendra dangereuse pour l'enfant. Pour éviter une compression exagérée, Jean-Louis Petit (1774) (fig.38) a imaginé de placer entre les branches de son forceps une crémaillère (labimètre), qui limite le rapprochement des cuillers et permet en quelque sorte de mesurer le degré de compression auquel la tête sera soumise » (Tarnier).
Lauverjat, Osiander, et d'autres accoucheurs ont imité J.-L. Petit.
L'instrument de Delpech poursuit aussi le but d'empêcher les pressions exercées sur les manches de se transmettre à la tête fœtale saisie par les cuillers (fig.39).
« C'est sans doute conduit par la même idée que Mattei a décrit un instrument qu'il désigne sous le nom de léniceps. On y retrouve les deux cuillers du forceps de Levret; mais les branches sont coupées au niveau de l'articulation ordinaire, et les cuillers fixées dans un manche transversal » (Tarnier). Ce manche, en s'adaptant bien à la main de l'opérateur donne un point d'appui solide pour les tractions.


Osiander, Brünninghausen, Nægele, Kilian avaient déjà placé sur les manches de leurs instruments des saillies ou barres transversalement dirigées, destinées au même usage. On les retrouve encore dans les instruments de Simpson (fig. 29), de Stoltz (fig. 25), etc.
Enfin, dans un certain nombre de forceps, les manches participent à la courbure périnéale, dont il a été déjà question p. 204. Il arrive en effet que « les branches de l'instrument appuient fortement sur la commissure postérieure de la vulve et peuvent déchirer le périnée, si l'opérateur n'a pas l'attention de diriger le manche un peu plus en avant » (Tarnier). C'est pour éviter cet inconvénient qu'on a imaginé la « courbure périnéale, à concavité postérieure et à convexité antérieure qui éloigne l'instrument du périnée. Les forceps de S. W. Johnson, Young, Mulder, Morales, présentent cette disposition » (Tanier). La courbure périnéale joue un autre rôle dans la direction des tractions ; nous y reviendrons plus loin.

La modification de beaucoup la plus importante apportée à l'instrument de Levret est celle qui consiste à éviter le croisement des branches : au forceps croisé s'oppose ainsi le forceps à branches dites parallèles, plus exactement à branches non croisées. Après les ébauches primitives de Palfyn, d'Heister de Mesnard (voir plus haut), il faut de toute nécessité mentionner le deuxième forceps de Coulouly, qui est très remarquable. Voici la description de Coutouly :
« Cet instrument est composé de quatre parties principales : des deux branches, de la vis qui les traverse et de l'arc-boutant. Les branches ayant à peu près la forme d'un S ont 14 pouces et demi de longueur ; les pinces sont du reste semblables à celles du forceps de Levret, quant à leur partie supérieure. Vers la partie moyenne de chacune d'elles se trouve un trou carré, à peu près d'un pouce, pour passer les vis qui doivent les traverser. Plus bas sont deux espèces d'ailes opposées; elles aident à l'introduction de chaque branche isolée et sont d'un ferme appui lorsqu'on opère l'extraction de la tête. Chaque branche a, à sa partie inférieure, une cavité pour recevoir les deux têtes rondes qui terminent la traverse de l'arc-boutant; ces cavités sont percées de deux trous perpendiculaires où passent les fiches qui fixent les têtes à la traverse. » (Fig.40)
Coutouly estime qu'avec cet instrument (dont les branches ne sont pas croisées), l'articulation est facilitée ; surtout, que les parties maternelles sont moins exposées aux lésions qu'avec le Levret, et que l'union des branches au moyen d'une vis, qu'on peut serrer plus ou moins ou desserrer à volonté, ménage la vie de l'enfant menacée par une pression constante.

Ces considérations pronostiques très importantes furent cependant oubliées :
Thenance ne retint que les difficultés de l'articulation dans le forceps croisé, et il imagina un instrument à branches dites parallèles qui se joignent à l'extrémité manuelle (1807) (fig.26).
En 1812, Uhthoff fit construire un forceps à branches parallèles et à courbure périnéale, trop long et trop pesant (fig. 27). Le forceps de Thenance fut heureusement modifié par Valette en 1857, et cet instrument, dit forceps lyonnais, a pu être regardé comme le meilleur du genre.


De 1861 à 1890, Chassagny fit paraître plusieurs forceps dont les branches s'articulent comme celui de Coutouly aux extrémités d'une traverse transversale (fig 41). Le dernier type (fig.42) est certainement le plus parfait.
Hubert (de Louvain) fut avec Chassagny et après Coutouly un des rares accoucheurs qui comprirent toute la valeur du forceps à branches non croisées, surtout au point de vue de la préhension. Hubert fils, en 1877, imagina un forceps assez voisin du léniceps de Mattei comme aspect général, mais répondant selon lui aux idées théoriques de Chassagny et de son père.
En 1866, Lazarewitch avait tenté de réhabiliter le forceps droit, en évitant le croisement des branches (fig.43).
En 1885, Poullet fit construire un forceps à branches strictement parallèle et à courbure périnéale (fig.44).
Enfin, en 1899, Demelin revint aux principes de Chassagny pour la préhension, et tenta de les combiner avec ceux de Tarnier pour la traction, principes que nous allons étudier maintenant (fig.45).

III- Dans les forceps qui offrent la courbure de Levret, la direction des manches n'est pas la même que celle des cuillers ; avec ces instruments
on tire sur les manches, c'est-à-dire dans un sens qui n'est pas sur la même ligne droite que l'axe des cuillers. « Tous les accoucheurs savent que dans une application de forceps bien conduite, les tractions doivent être autant que possible dirigées suivant l'axe du bassin, mais tous assurent qu'au détroit supérieur et au-dessus de ce détroit, il est impossible de tirer assez en arrière, parce que l'instrument est forcément maintenu dans une mauvaise direction par la résistance du périnée. Bien plus, au niveau du détroit inférieur et de l'orifice vulvaire, les tractions sont toujours mal dirigées lorsqu'on se sert du forceps ordinaire, en raison même de la forme de l'instrument, que celui-ci soit à branches croisées ou parallèles.
«La ligne AB (fig.46) représente l'axe du détroit supérieur ou de l'ouverture que la tête doit franchir et par conséquent la direction qu'il faudrait donner aux tractions pour qu'elles fussent irréprochables. Au contraire, les tractions faites par l'opérateur, lorsqu'il tire sur les manches du forceps ordinaire, se convertissent en une force qui est représentée par la ligne AF, et ces tractions ne peuvent pas être portées plus en arrière à cause de la résistance du périnée R.
En supposant que les tractions soient de 20 kilogrammes, et en représentant cette traction (le 20 kilograrnmes par la distance AM, si l'on construit sur cette ligne AM le parallélogramme des forces ADMN, on trouve que la traction AM se décompose en deux forces : l'une AD, qui abaisse la tête dans la direction de l'axe du détroit supérieur ; l'autre AN, représentant une pression nuisible qui vient se perdre contre le pubis. Or les lignes AM, AD, AN offrent entre elles des différences respectives de longueur qui sont exprimées par les nombres 20, 17, 10, en chiffres ronds. Donc, en tirant sur les manches du forceps avec une force de 20 kilogrammes, représentée par la ligne AM, on obtient le résultat suivant : on entraîne la tête dans la direction AD, avec une force de 17 kilogr., tandis qu'on fait subir au pubis une pression AN, de 10 kilogr. Cette pression est doublement nuisible : d'une part, elle comprime le pubis ; d'autre part, elle augmente la résistance que la tête opposait aux efforts d'expulsion (Tarnier).


Au niveau du détroit supérieur même (fig.47), on obtient des résultats analogues.
Au détroit inférieur et même à l'orifice vulvaire, l'opérateur qui se sert de forceps de Levret est acculé à l'une des deux alternatives suivantes (fig. 48 et 49) :
ou se résigner à ne pas tirer suivant l'axe de l'ouverture à franchir, ou maintenir la tête et les cuillers de l'instrument dans une direction oblique rapport à l'axe de cette ouverture, ce qui est également fâcheux. Avec un forceps droit, on n'aurait pas les mêmes inconvénients ; aussi les accoucheurs qui, au détroit inférieur et à l'orifice vulvaire, préfèrent ce dernier instrument au forceps courbe ont parfaitement raison » (Tarnier).

De ce qui précède, on doit conclure qu'avec un forceps ayant la courbure de Levret, « on ne peut jamais faire des tractions suivant l'axe du canal pelvi-génital, quelle que soit d'ailleurs la hauteur à laquelle la tête fœtale est placée : détroit supérieur, excavation, détroit inférieur, orifice vulvaire. La mauvaise direction des tractions est inhérente à la forme même du forceps » (Tarnier).

Pour pouvoir tirer dans l'axe des cuillers en exerçant des tractions sur les manches du forceps, la première idée qui devait venir était de courber ces manches de manière à amener leur extrémité manuelle dans la direction voulue. La courbure périnéale date déjà de longtemps ; mais elle n'était pas appliquée aux tractions dans l'axe, elle avait pour unique but de sauvegarder le périnée contre les déchirures. C'est ainsi qu'on la retrouve dans les instruments de B. Pugh (1754), Johnson (1769), Henckel (1776), Van de Laar (1777), Sleurs (1783), Young (1784), Evans (1784), Von Eckardt (1800), Hamilton (1817), W. Campbell (1833).
Le forceps de Uhthoff (1812), à branches parallèles, est également muni d'une courbure périnéale (fig.27).
En 1844, parut le forceps de Hermann, remarquable par sa courbure périnéale et surtout par une tige particulière qui peut être fixée soit au-dessus (fig.50), soit au-dessous (fig.51) de l'instrument, suivant qu'il est plus ou moins profondément introduit dans les voies génitales. Quand la tige est appliquée au-dessus des branches, elle agit comme un propulseur, dans le même sens que les efforts de la main placée sur l'entablure du forceps de Levret et exécutant la manoeuvre de Pajot, pendant que l'autre main relève l'extrémité des manches. Si au contraire la tige de Hermann est adaptée au-dessous du forceps, elle représente un tracteur distinct des branches de préhension ; et c'est là l'ébauche d'une modification que nous retrouverons plus tard.

" Dans un mémoire publié en 1860, L.-J. Hubert (de Louvain), après avoir mathématiquement démontré les inconvénients graves qui résultent de ce que le forceps ordinaire n'est pas fait pour tirer dans l'axe du bassin, propose de donner au forceps la courbure dessinée dans la figure 52. La direction des tractions AF y est à peu près parallèle à la face postérieure du pubis, mais elle est loin de se confondre avec l'axe AB du détroit supérieur " (Tarnier).
En 1866, Hubert modifia son instrument (fig.53), et ce nouveau forceps " se compose d'un forceps ordinaire sur lequel on adapte une longue tige d'acier C en forme de clou. En appliquant la main sur l'extrémité de la tige C, point même où celle-ci est croisée par la ligne AB, on peut tirer suivant l'axe du détroit supérieur, et tout l'effort employé tend à abaisser la tête fœtale dans l'excavation » (Tarnier).


En 1870, Aveling montre les avantages que procure la courbure périnéale au point de vue des tractions dans l'axe.
Moralès (fig.54) « a fait construire deux forceps : le premier de ces instruments avait pour but de ménager l'intégrité du périnée, mais il ne permettait pas de tirer suivant l'axe du bassin » (Tarnier). Dans le second forceps de Moralès, « la direction de la poignée des branches est en ligne droite avec l'axe des cuilliers ». Cette affirmation, ainsi que le fait remarquer Tarnier, est loin d'être exacte, et le principe de la traction dans l'axe n'est pas encore parfaitement réalisé par Moralès.

En 1860, Chassagny avait fait faire un grand pas à la question. Cherchant, le premier, à appliquer à l'espèce humaine les tractions mécaniques utilisées depuis longtemps en obstétrique vétérinaire, il fut amené à étudier en quel point du forceps on devait attacher l'agent tracteur et il aboutit à cette conclusion, que la force de traction devait être appliquée non sur les manches, beaucoup trop éloignés de la partie fœtale, mais en un point des cuillers et aussi près que possible de la présentation ; car il avait reconnu que tout le système constitué par le forceps appliqué sur la tête « pivote, dans tous les déplacements possibles, autour d'un point fictif qui est le centre de l'ovoïde crânien. Il appela ce point le centre de figure et formula ce principe que, la force d'extraction, pour ne pas gêner les déplacements utiles du forceps dans tous les sens, doit être insérée sur le forceps, au niveau du centre de figure. Il fit donc construire un forceps (fig.55), dans lequel il plaça, en travers de chaque cuiller, une petite barre transversale perforée d'un trou au milieu pour le passage d'un cordon de traction » (Charpentier).

Les tractions mécaniques eurent des partisans : Joulin décrivit un aide-forceps; puis Pros (de la Rochelle) préconisa un appareil du même genre. Tarnier lui-même et plus récemment Poullet firent de nouvelles tentatives dans la voie des tractions mécaniques; elles sont aujourd'hui abandonnées.
Cependant ces essais ne furent pas stériles. Bien au contraire, ils mirent en lumière les deux principes suivants :
1) La traction ne doit pas être opérée sur les manches du forceps à courbure pelvienne ;
2) La force de traction doit s'insérer aussi près que possible du centre de figure.

Tarnier, tout en reconnaissant la justesse des raisonnements de Chassagny, lui reprocha d'en avoir fait une application pratique imparfaite. « Les tractions, dit-il, faites avec les lacs recommandés par M. Chassagny, ont donc le grand avantage de laisser à la tête une mobilité complète qui lui permet de suivre la courbure du bassin ; mais l'appareil de cet accoucheur a le défaut grave de donner aux tractions une direction vicieuse qui fait subir au pubis une compression considérable » (fig.55).

Pareil reproche peut être fait au forceps de Laroyenne (fig.56), qui pourtant réalise d'une manière fort simple l'insertion de la force au niveau du centre de figure : les jumelles de chaque cuiller sont en effet percées chacune d'un trou au niveau du centre de figure, et ces trous laissent passer un lacs en ruban de fil ou autre qui sert d'agent tracteur les deux lacs venant des deux cuillers sont tirés par un aide, tandis que l'accoucheur dirige les manches de l'instrument pour faciliter l'évolution de la partie fœtale. Avec le forceps de Laroyenne, comme avec l'appareil à traction continue de Chassagny, les tractions s'exercent beaucoup trop en avant ; car le périnée repousse les rubans tracteurs et ces instruments sont dépourvus de la courbure périnéale, si utile cependant pour bien tirer dans l'axe.

Tarnier se proposa de mettre entre les mains des accoucheurs un forceps capable :
« 1° De permettre à l'opérateur de pouvoir toujours tirer suivant l'axe du bassin, quelle que soit la situation de la tête dans la filière pelvienne ;
« 2° De laisser à la tête fœtale assez de mobilité pour qu'elle puisse suivre librement la courbure du bassin ;
« 3° de présenter une aiguille indicatrice montrant à l'accoucheur la direction qu'il doit donner à ses tractions pour qu'elles soient irréprochables » (Tarnier).

En 1875, Tarnier décrivit, dans un pli cacheté déposé à l'Académie de médecine, un forceps réunissant les trois qualités énoncées plus haut.

En 1877 (23 janvier), il présenta à l' Académie un autre forceps (fig.57) composé de deux branches de préhension et de deux tiges de traction, qui s'implantent dans une poignée transversale Forceps Tarnier version 1877.

Depuis, Tarnier fit subir de nombreuses modifications à ses instruments primitifs; préoccupé presque uniquement du grand principe de la traction dans la bonne direction, il fit cependant construire un modèle de son forceps dans lequel les branches sont parallèles (fig.58). Mais cette tentative ne fut pas poursuivie.


Aujourd'hui, le forceps de Tarnier, devenu avant-dernier modèle du Tarnier classique, est celui que représente la figure 59.
Un forceps croisé, à courbure pelvienne, et dont les cuillers sont exactement construites d'après celles du forceps de Stoltz, forme l'appareil de préhension dépourvu de courbure périnéale. La pince peut rester fermée sans qu'on ait de pression manuelle à exercer sur les manches, au moyen d'une petite vis. Près de l'extrémité pointue de chaque fenêtre, s'attache une tige qui reste fixée au-dessus de chaque branche, au moment de leur introduction dans les voies génitales. Ces liges vont constituer l'appareil de traction, en se libérant des branches de préhension à leur extrémité manuelle et en s'adaptant alors à un tracteur dont l'accoucheur saisit à pleines mains la barre qui sert de poignée.

Dans un dernier modèle, Tarnier fit briser la tige du tracteur pour le rendre plus mobile, et permettre de reporter les efforts de traction aussi en arrière que possible, alors que l'instrument est placé d'avant en arrière au détroit supérieur (fig.60).
Nous reviendrons plus loin sur le mode d'action du forceps de Tarnier, auquel s'applique l'ensemble des idées énoncées dans cet article.

Le mémoire que Tarnier publia en 1877 eut un grand retentissement. Le nouveau forceps à aiguille excita de remarquables polémiques : si son inventeur rencontra des adversaires, il trouva aussi des partisans et des imitateurs.
Aujourd'hui, sa cause est presque gagnée. A l'étranger, beaucoup d'accoucheurs l'adoptèrent tel quel ou en le modifiant. Alexander R. Simpson (fig.61) en Écosse, Sanger en Allemagne, Lusk en Amérique, etc., etc., firent construire des instruments analogues à celui de Tarnier.

En France, Poullet (1883), pour laisser à la tête le plus de mobilité possible, tout en gardant le principe de la courbure périnéale imprimée au tracteur, adapta comme Laroyenne des lacs de ruban aux cuillers d'un forceps de Levret, et joignit ces lacs à un tracteur métallique assez voisin de celui de Tarnier (fig.62).
Crouzat (fig.63) rendit aux branches de préhension la courbure périnée à laquelle Tarnier avait renoncé pour celte partie de l'instrument. La courbure pelvienne de Levret avait imprimé aux manches une direction qui s'écarte notablement de celle des cuillers : de là des erreurs fréquentes dans le manuel opératoire. Au contraire, si les manches, à leur extrémité, se trouvent dans le prolongement de l'axe des cuillers, l'introduction et l'évolution des branches dans l'intérieur des voies génitales seront de ce chef rendues plus faciles pour l'accoucheur qui aura toujours sous les yeux un guide fidèle. Crouzat augmenta l'étendue des cuillers de son forceps et attacha un tracteur (fig.64) à l'extrémité manuelle des branches de préhension. Étudié par Maygrier et Schwab, cet instrument fut reconnu par eux capable d'assurer solidement la prise de la partie fœtale.

Enfin Demelin adapta à un instrument de préhension très voisin du dernier forceps de Chassagny, un appareil de traction du même genre que celui de Tarnier, mais disposé de manière à laisser plus d'indépendence encore à la pince sur laquelle il s'insère.

A l'heure présente, le forceps de Tarnier est devenu le forceps français : c'est lui que nous avons surtout en vue dans les chapitres qui vont suivre.


P. BUDIN et L. DEMELIN.
Source :
S. Tarnier, P. Budin. " Traité de l'art des accouchements ". Tome 4, Paris, G. Steinheil, Libraire-Editeur, Paris, 1901


Texte extrait et mise en page par Dr Aly Abbara
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